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Publié le 15 janvier 2025
La tentative de coup d’État du président sud-coréen, Yoon Suk-yeol et sa mise en échec par une mobilisation populaire massive, a fait resurgir au grand jour les divisions profondes qui déchirent le pays du « Matin calme ».
Après avoir décrété la loi martiale le 3 décembre, Yoon, destitué par l’Assemblée nationale et sous le coup de multiples procédures pour les motifs d’« insurrection », d’ « abus de pouvoir », est toujours reclus dans sa résidence, refusant de se soumettre, et contre-attaque juridiquement et politiquement, promettant à ses soutiens de se battre « jusqu’au bout ».
Officiellement, le coup de force du très réactionnaire Yoon visait à mettre un terme à ce qu’il considérait comme une « dictature législative » que l’opposition majoritaire au sein du parlement aurait exercée via le dépôt d’amendements destinés à amputer son projet budgétaire. Pour y mettre un terme, l’impopulaire président, accusant ses adversaires de « complicité » avec la Corée du Nord, a eu recours à la loi martiale. Sinistre rappel pour les Coréens des heures sombres de la dictature qui, jusqu’en 1987, a soumis le pays à une répression féroce.
Si la crise actuelle s’inscrit dans le contexte des rapports extrêmement conflictuels entre le camp présidentiel et l’opposition parlementaire depuis l’élection de Yoon en mars 2022, elle est l’aboutissement de nombreuses tensions dans le pays, tant politiques que sociales. Yoon, depuis son arrivée au pouvoir, s’est livré à des attaques en règle contre les travailleurs et les syndicats, provoquant des mouvements sociaux inédits. En juillet dernier, des milliers d’ouvriers de Samsung Electronics ont déclenché les premières grèves de l’histoire de l’entreprise. Elles ont fait suite à la mobilisation générale lancée par les syndicats quelques semaines plus tôt dans les secteurs de la santé, de la métallurgie ou des livreurs : en cause, les réformes envisagées par le gouvernement visant à étendre la durée légale de travail à 69 heures par semaine. Pour casser la dynamique contestataire, Yoon comptait sur la loi martiale pour interdire les grèves, arrêts de travail et actes de rassemblement « qui incitent au chaos social ».
Injonctions qui englobaient l’ensemble de la société, traversée par de nombreux conflits - intergénérationnels et entre sexes -, exacerbés par les courants ultra-conservateurs allant de l’extrême droite politique et militaire aux sectes évangéliques en pleine expansion qui constituent la base politique de Yoon. Lors de la présidentielle de 2022, Yoon l’avait emporté de justesse au terme d’une campagne particulièrement délétère, exploitant la colère des courants machistes face à la montée des revendications des femmes. Faisant de l’antiféminisme un des fers de lance de son programme, il avait annoncé la suppression du ministère de l’Égalité entre les genres et de la Famille, qu’il considérait « trop imprégné des idées féministes de l’ancien gouvernement ». Mesure heureusement bloquée par le parlement.
Une autre dimension de la confrontation politique actuelle plonge ses racines dans les divergences de fond au sein des classes dirigeantes et du patronat sud-coréens, polarisant l’opposition entre les deux principaux partis : le Parti démocrate dirigé par Lee Jae-myung et le Parti du pouvoir au peuple (PPP) dont Yoon est issu. Des divergences portant principalement sur la politique très atlantiste de Yoon, qui accentue les tensions avec la Chine, important partenaire commercial de Séoul, et sur la rupture du dialogue intercoréen.
Le renforcement des liens avec Washington, concrétisé par l’« Accord de coopération trilatérale, sécuritaire et économique » signé l’été 2023 dans la logique étatsunienne d’affrontement avec Pékin, confortait aussi le président dans sa stratégie de « va-t’en guerre » envers la Corée du Nord. Politique en rupture avec celle de son prédécesseur du Parti démocrate Moon Jae-in (2017-2022), dont le mandat fut marqué par un réchauffement très significatif avec Pyongyang : une opportunité pour les grands conglomérats sud-coréens, les chaebols, attirés par les ressources naturelles inexploitées du Nord et les possibilités d’investissements dans les infrastructures comme dans l’industrie. Dans un contexte national où des perspectives économiques sont en berne avec une croissance n’avoisinant plus que les 2 % (contre 10 % dans les années 1990), une diplomatie apaisée avec le Nord ne pourrait que satisfaire le grand patronat permettant la reprise des projets avortés.
Quelle sortie crise est envisageable ? À l’heure où ces lignes sont écrites de nombreuses inconnues subsistent.
Le 7 janvier, le Bureau d’enquête sur la corruption des hautes personnalités (CIO) a obtenu la prolongation de la validité du mandat d’arrêt contre Yoon dont le terme était échu la veille. C’est désormais à la Cour constitutionnelle de mener l’instruction qui devrait aboutir à sa destitution officielle. Elle dispose de six mois pour confirmer ou infirmer la suspension de Yoon, adoptée le 14 décembre par l’Assemblée nationale. Y parvient-elle dans un pays aussi clivé ?
L’autre grande question concerne le retour de Trump à la Maison Blanche. À quelques jours de son investiture, Pyongyang ne s’est pas privé de lancer plusieurs missiles balistiques à courte portée vers la Corée du Sud. Trump a-t-il l’intention de poursuivre sa politique de « rapprochement » avec Kim Jong-un qu’il avait rencontré à trois reprises lors de son premier mandat ? Une source d’inquiétude pour le camp Yoon dont paradoxalement les rassemblements quotidiens de soutien cherchent à s’identifier avec le mouvement trumpiste étatsunien en reprenant les slogans de ses partisans et en brandissant des drapeaux américains.
Dominique Bari
Article publié dans CommunisteS, numéro 1025 du 15 janvier 2025.
source : https://www.pcf.fr/crises_multiformes_pays_matin_calme