La seconde présidence du magnat pourrait accentuer le déclin d'un empire désormais plus violent et imprévisible
Auteur: Mariano Saravia | internet@granma.cu
12 novembre 2024 10:11:41
Photo : avec l'aimable autorisation de l'artiste
Le triomphe électoral de Donald Trump aux États-Unis a surpris, pas vraiment parce qu'il ne pouvait pas se produire, mais en raison de la facilité avec laquelle il s'est produit, notamment au sein du collège électoral
Les prévisions annonçaient un résultat très serré, principalement dans les sept « États clés », or Trump a remporté ces grands électeurs.
Cette victoire me semble surdimensionnée, pour deux raisons : les sondages préalables et le système d'élection indirecte. L'ambiance qui régnait était celle d'une finale ouverte, un face-à-face, et y compris d’un scrutin qui serait lent et contesté. Rien de tout cela ne s'est produit, si bien que le contraste est très grand, donnant l'impression d'une victoire plus large qu'elle ne l'est en réalité.
Si nous considérons le nombre de voix en termes absolus, il s'agit de 74 millions de voix contre 70 millions. C'est un triomphe clair, mais ce n'est pas un raz-de-marée. En pourcentage d’inscrits sur les listes électorales, Trump obtient 50 % contre 48 % pour Harris. Ce pays reste partagé en deux, avec un fossé social, culturel et politique très profond. C'est le résultat du système indirect, car la composition du collège électoral ne correspond pas à la volonté populaire. Dans ce cas, Trump pourrait se retrouver avec 58 % contre 42 % pour Harris.
Ce sont des éléments importants à prendre en compte au moment d’analyser le gouvernement qui sera mis en place à partir du 20 janvier 2025. Le Président aura une légalité bien supérieure à sa légitimité, comme nous venons de le voir. La légitimité dit, faussement, que Trump a près de 60% de soutien, alors que la vraie légitimité montre qu'il en a 50%. En pleine fonction, cela peut être un élément de conflit, augmenté par les manières de Trump, plus enclin à crier et à insulter qu'à écouter et à négocier.
UN NOUVEAU POUVOIR
Il est très frappant de constater que, dans son premier discours revendiquant la victoire, aux premières heures du 6 novembre, Trump a évoqué le nom de son mouvement Maga : Make Again Great America, (rendre sa grandeur à l’Amérique) et n'a même pas mentionné le Parti républicain. Aujourd'hui, ce qui existe – et qui est arrivé pour rester – c'est le trumpisme, un mouvement qui transcende son propre leader. Il prendra ses fonctions à 78 ans et terminera son mandat à 82 ans, si bien que la façon dont il pourra répondre à la demande reste une inconnue. Il semblerait qu'il prépare le changement, comme en témoigne la place qu’il donne à deux personnages : le vice-président élu James Vance, âgé de 40 ans, un représentant clair de la classe moyenne blanche du Midwest étasunien, qui incarne la décadence industrielle et la colère de cette classe ouvrière devenue de plus en plus conservatrice sur les plans culturel et social. Cette même classe qui s'est sentie abandonnée par les politiques démocrates.
L'autre homme fort de Trump est l'homme le plus riche du monde, Elon Musk. Lui aussi est un personnage controversé, sud-africain d'origine, propriétaire du réseau social X et un croisé du néo-fascisme.
Le lendemain de sa victoire électorale, Trump a passé le téléphone à Musk au cours d'une conversation téléphonique avec le président ukrainien. Au-delà du contenu de la conversation, que l’on ignore, le geste montre le pouvoir politique qu'est en train d'acquérir celui qui gère déjà une grande partie de la logistique du Pentagone à travers ses entreprises SpaceX (lancements et transport spatial) et Starlink (satellites de communication et d'internet). Allons-nous vers une nouvelle réalité dystopique où un petit groupe de milliardaires néo-fascistes prendra le pouvoir face à une énorme machine de bureaucrates bipartites qui ont échoué au nom de quelque chose appelé « démocratie » ?
AVEC LE MONDE, AVEC CUBA
La gestion de la politique étrangère est un point qui pourrait marquer une rupture par rapport à l'administration démocrate. Pendant sa campagne électorale, le président élu a déclaré qu'il ne se mêlerait pas des guerres des autres et qu'il s'opposait au soutien illimité des États-Unis à l'Ukraine contre la Russie. Il a même remis en question l'efficacité de l'OTAN.
En ce sens, l'échafaudage idéologique de Trump présente une certaine incohérence, car s'il critique le vieil impérialisme atlantiste occidental, il voit en même temps des communistes partout et qualifie ses opposants de « radicaux de gauche ».
Cependant, il y a deux questions de politique étrangère sur lesquelles il ne s'éloigne pas de la tradition de Washington : le Moyen-Orient et Cuba.
Pour ce qui est de la première, il est clair que la communauté arabe des États-Unis, principalement basée dans le Michigan, a voté pour Trump en guise de punition pour le soutien inconditionnel des démocrates au génocide perpétré par Israël à l'encontre du peuple palestinien. Mais n'oublions pas que, lorsqu'il était président, Donald Trump s'est comporté de la même manière, et de surcroît, il est allé jusqu'à déplacer l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, une provocation ouverte au peuple palestinien qui aspire à faire de Jérusalem la capitale du futur État de Palestine. En d'autres termes, nous ne pouvons rien attendre de Trump si ce n'est un nouveau soutien à l'État terroriste d'Israël.
Quant à Cuba, sa politique a été désastreuse durant sa première administration, en faisant reculer les progrès promus par Barack Obama en vue du rapprochement entre les deux pays. Ensuite, parce que dans son discours néofasciste il y a une sorte de maccarthysme modernisé qui utilise l'anticommunisme comme trait identitaire, et parce que la communauté cubaine de Miami et de ses environs a été importante pour gagner la Floride, un État qui fournit 30 grands électeurs pour les présidentielles, Cuba reste au cœur de l'essence impérialiste des États-Unis.
Sur cette question, il ne se distingue pas des démocrates. Ces dernières années, Biden et Harris n'ont montré aucun changement, pas même face à une catastrophe mondiale comme la Covid-19, face à la crise énergétique actuelle ou à l'impact d'événements naturels consécutifs.
En dehors de ces deux points, Trump répète qu'il va se replier sur le productivisme et le protectionnisme, et mettre de côté les aventures militaires. Cela contribuera à isoler davantage les États-Unis et à consolider le nouveau pouvoir mondial, qui se reconfigure déjà autour d'un axe eurasiatique. Les Brics sont un signe de ce monde en réarrangement beaucoup plus multipolaire.
Cela signifie-t-il que le danger impérialiste disparaîtra ? Certainement pas. Tout simplement parce que les États-Unis sont un empire qui n'a pas la capacité de se reconvertir. C'est peut-être le seul exemple dans l'histoire.
Les États-Unis sont différents, ils ne savent pas être autre chose qu'un empire, mais ils subissent un déclin remarquable que l’on voit clairement sur le plan économique (déjà égalé et bientôt dépassé par la Chine), sur le plan politique (ils n'imposent plus aucun programme dans les forums internationaux), sur le plan social et, surtout, sur le plan moral. La seconde présidence de Trump pourrait accentuer ce déclin.
Mais il faudra être vigilant, car un empire en déclin devient plus violent et plus imprévisible
source : https://fr.granma.cu/mundo/2024-11-12/le-monde-qui-pourrait-venir-avec-trump