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Publié le 26 avril 2024
Intervention de Sébastien Laborde pour le PCF

Mesdames, messieurs, chères et chers camarades,

Je veux tout d’abord, au nom du Parti Communiste Français, remercier l’Union des résistants antifascistes portugais pour son invitation à participer à cette conférence sur la lutte contre l’extrême droite dans nos pays respectifs, en Europe et dans le monde.

Je suis militant et élu d’un territoire qui a vu la candidate du Rassemblement National remporter l’élection législative en juin 2022. Je suis le témoin de cette progression de l’extrême droite dans mon pays et ma région, et le témoin de ce que fait l’extrême droite depuis 2 ans pour atteindre son objectif de conquête du pouvoir en France.

Mon parti a mis sur pied un groupe de travail spécifique sur cette question tant le danger est réel de voir l’extrême droite en France emporter la prochaine élection présidentielle et les législatives qui vont s’en suivre.

Dans tous les pays de l’Union européenne, l’extrême droite progresse, emporte des élections comme en Italie et en Hongrie, participe à des gouvernements comme en Finlande et en Slovaquie, ou influe sur la vie et le débat politique dans de nombreux pays au regard de leurs résultats lors d’élections comme en Suède, au Portugal, en Espagne, ou encore en Belgique ou aux Pays-Bas.

Le risque est donc bien réel à l’échelle de l’Europe, et dans de nombreux pays dans le monde de voir l’extrême droite conquérir le pouvoir. Cette avancée a lieu, et ce n’est pas un détail, dans une Europe en crise sociale, économique, politique et démocratique. Il est donc important que des moments comme celui-ci aient lieu pour que le mouvement ouvrier, les révolutionnaires et les antifascistes discutent, confrontent leurs points de vue, échangent pour définir des stratégies gagnantes qui permettent de combattre efficacement et durablement les forces réactionnaires, racistes et autoritaires.

C’est le cas en Autriche, au Brésil l’année dernière, avec les avancées du KPO qui correspondent à la baisse de l’extrême droite et le recul de l’abstention aux élections locales. C’est le cas parfois aussi en France, quand le seul député RN battu en juin 2022 l’a été par un candidat issu du PCF, quand, lors des élections départementales en Gironde en 2021, nous avons dans un rassemblement avec les socialistes réussi à battre l’extrême droite qui tentait de conforter ses positions dans l’institution départementale. Cette progression n’est pas une fatalité, la montée de l’extrême droite est en fait un château de cartes plus fragile qu’il n’y parait.

Pour l’emporter il faut d’abord comprendre la stratégie de notre ennemi, une stratégie globale, pour pouvoir engager la contre-offensive et les battre dans les urnes.

La crise, un terrain propice
Lors de la pandémie, le RN a surfé sur les peurs, les fake news. Ce climat de peur et d’isolement a sans aucun doute favorisé la montée de l’extrême droite dans les esprits. Mais le changement stratégique du RN date en réalité de 2016.

Cette stratégie repose sur deux piliers fondamentaux. D’une part, l’exploitation des crises économiques, sociales, sanitaire, et même climatique, en dévoyant la colère, la peur et les frustrations en direction de boucs émissaires. D’autre part, la construction d’un récit nationaliste et identitaire résumé par le concept de « préférence nationale » qui repose sur une conception ethnique de la nation.

Ces deux piliers s’accompagnent depuis des années d’une stratégie de dédiabolisation, avec une volonté de lisser son discours, l’image de Marine Le Pen, et de son parti qui change de nom en 2019, mais pas son programme. C’est une rupture avec la stratégie de Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen, qui prend les rênes du Front National à cette époque.

Une stratégie qui consiste à surfer sur les conséquences de la crise en tenant un discours populiste, rejetant « les élites » et le pouvoir en place, tout en travaillant les divisions dans le monde du travail et donc dans la population.

Jusqu’en 2021, le FN, puis le Rassemblement National travaillent exclusivement ses thèmes de prédilection, la sécurité, l’immigration, une conception ethnique de la nation française, un discours populiste qui entend « renverser la table ». Le FN puis le RN constituent un vote défouloir de toutes celles et ceux déçus par la droite et aussi par la gauche. C’est jusqu’alors un vote de colère.

Une stratégie de conquête territoriale
Lors des élections municipales de 2020, puis lors des élections régionales de 2021, le RN gagne un nombre important d’élus, concrétisant sa progression dans un certain nombre de catégories du monde du travail.

En 2020, sur ma circonscription, périurbaine où le sentiment d’abandon par les pouvoirs publics est très fort, le RN présente des listes ou des candidats dans tous les chefs-lieux de cantons. Ils perdent, mais rassemblent entre 30 et 45% des voix dans ces villes qui représentent dans un territoire rural près de 30% de l’électorat global.

Ils tissent des liens avec des maires sans étiquette ou de droite. La radicalisation d’une partie de l’électorat de droite est, dans ces territoires, une réalité.

En 2021, lors des régionales, scrutin à la proportionnelle, ils réalisent des scores importants et font élire des dizaines d’élus dans l’ensemble des régions. Ce sont ces élus qui seront candidats aux législatives, un an après les régionales et au terme de presque 18 mois de campagne de terrain, de renforcement de leur parti, entre régionale et départementales, présidentielle et législatives en positionnant dans chaque circonscription des femmes et des hommes qui incarnent leur parti, leurs idées, et leur supposé « changement » par rapport à des périodes passées.

Quelle riposte ?
Le combat contre l’extrême droite uniquement centré sur un combat au nom de valeurs pendant plus de 20 ans est en échec. Tout simplement parce que l’électorat de l’extrême droite n’a pas de cohérence idéologique d’ensemble. Il se compose plutôt comme un agglomérat de différents électorats. Il n’a pas véritablement de socle idéologique. Dire que nous sommes dans une phase d’extrême droitisation de la société française, de montée du racisme est erroné et ne permet pas de saisir les véritables ressorts du vote d’extrême droite.

Un électorat d’extrême droite, acquis aux thèses racistes et xénophobes a toujours existé en France peu ou prou. Il s’y est aggloméré un électorat de droite qui s’est radicalisé et qui vote aujourd’hui pour les forces politiques en capacité de battre la gauche. Mais également un électorat populaire, passé par l’abstention, déçu par la gauche au pouvoir. L’entreprise de dédiabolisation et de crédibilisation du rassemblement national ayant fonctionné avec l’assentiment et parfois même l’aide d’une partie des médias et désormais du grand patronat détenteur de ces mêmes médias.

Pour combattre efficacement l’extrême droite, il faut à mon sens éviter deux écueils.

Le combat contre le RN ne se limite pas à la critique des idées du RN, au risque de rester sur une posture défensive. Mais c'est aussi notre propre action pour occuper, réoccuper, sur nos bases communistes, en termes d’idées, d'actions, de propositions, des terrains sur lesquels le RN est perçu comme seul à apporter des réponses. Il y a ses terrains de prédilection, sécurité et immigration, mais pas seulement, l’agriculture, la défense des professions indépendantes (artisans, commerçants), les ouvriers, employés, les salariés du commerce, les fonctionnaires qui vivent avec la peur du déclassement, c’est-à-dire de perdre les quelques conquis sociaux qu’ils ont.

Il faut sortir de la dénonciation du RN centré sur le terrain des valeurs, de l’antiracisme, du féminisme, de la démocratie et replacer la lutte contre l’extrême droite au cœur des enjeux de classes.
Il ne s’agit pas de ne plus dénoncer l’extrême droite de ces points de vue-là, mais de mesurer que ce n’est pas le seul ressort du vote RN et de noter que cette stratégie est un échec au regard de l’évolution du vote RN depuis 20 ans.

Le moteur principal du vote RN est bien le sentiment de déclassement avec le besoin d’être « protégé » et celui d’abandon avec le besoin de « se faire entendre », avec la désignation de l’immigration comme porteuse de menaces, de dangers, mais aussi du chômage dont les responsables sont pour l’extrême droite et le pouvoir en place, les chômeurs, des difficultés du système éducatif dont les responsables sont les élèves, et leur famille... C’est-à-dire en somme, les autres. C’est un processus psychologique redoutable.
Les transformations profondes qui traversent la société et la crise sociale et économique, font grandir l’aspiration à maîtriser sa vie, à en être pleinement acteur. La crise sanitaire, le confinement ont été un tournant dans la montée dans l’opinion publique de deux aspirations contradictoires que le RN parvient en apparence à dépasser : l’aspiration à maîtriser sa vie corrélée à l’individualisme, et le besoin d’un État fort, autoritaire, qui, à défaut de protéger, rassure.
Or, l’expérience du travail, ses mutations, vient percuter directement cette aspiration à maîtriser sa vie. Les directives qui descendent sans être discutées, les injonctions contradictoires, une organisation du travail sans lien avec les gestes produits, les fermetures autoritaires de site de production produisent de la perte de sens, du mal-être, et la recherche de cadres « rassurants » et protecteurs en lieu et place d’une démarche revendicative de fond. La perte de terrain des Organisations Syndicales dans leur ensemble est à la fois le symptôme, la conséquence et la cause de cette perte de conscience de classe.
Mesurons bien que l’abstention ou la montée du RN sont une illustration de cette perte de sens. Elles en sont une traduction politique. Toutes les autres explications sur la montée du RN ou l’abstention sont justes, mais nous sommes là dans un angle mort non appréhendé par la pensée politique, y compris révolutionnaire. Face à cela, l’extrême droite tente d’incarner un projet politique volontariste et autoritaire avec les mêmes recettes néolibérales. Mais là où les libéraux arguent de directives, de l’expertise de cerveaux invisibles pour imposer des politiques antisociales, l’extrême droite à l’image de Trump aux USA, ou Melie en Argentine, incarne un pouvoir fort et autoritaire.
Elle travaille depuis 2022 un triptyque : fermeté, justice, protection avec un État fort, autoritaire, qui protège face aux désordres du monde.

Fermeté : face à la délinquance, à propos de la laïcité, ou de la justice

Justice : avec en toile de fond la division de la classe travailleuse et un slogan, « ce n’est pas à ceux qui travaillent de payer pour les autres », il y a aussi l’équité territoriale, avec l’opposition ville-rural, les jeunes face aux anciens, les travailleurs-privés d’emploi face aux salariés, les étrangers face aux français de souche.

Protection : face aux désordres du monde, face à l’Europe, l’immigration est désignée comme source de dangers, de délinquance, de terrorisme, et accusée d’importer sur le territoire les guerres…

Avec dans tout son programme, l’accentuation d’oppositions, d’antagonismes travaillés à l’intérieur même de la classe travailleuse : nationaux et étrangers, travailleurs et privés d’emploi, habitants des villes et des zones rurales avec la désignation de boucs émissaires, les étrangers, les musulmans, les maghrébins, mais aussi les demandeurs d’emploi, une partie de la jeunesse, etc.
Une première question qui nous est posée et de savoir comment faire en sorte d’incarner cette traduction politique d’un besoin de respect, de protection, et d’être entendu ?
Sans l’élévation du niveau de conscience des classes travailleuses, la lutte contre une force autoritaire, raciste, xénophobe, réactionnaire et néolibérale est obérée.

À l’aspiration à la justice, nous devons répondre par des propositions de justice sociale, pour les salaires, l’accès aux services publics, l’emploi, mais en disant où nous voulons prendre l’argent en pointant la responsabilité du capital et en appelant à l’unité du monde du travail.

À l’exigence de protection, nous répondons par le développement des solidarités, des services publics.

À la fermeté, il faut développer des propositions sur des thèmes délaissés par la gauche, comme celui de la sécurité et de la tranquillité publique, mais aussi de la laïcité.

Il s’agit d’unifier autour de propositions concrètes qui rassemblement et qui pointent la responsabilité du capital, sur la pression sur les salaires et l’emploi, les solidarités, les services publics et dans la situation de crises multiples que nous traversons.

Il s’agit de la question des salaires, de l’inflation, de l’emploi, de l’accès aux services publics, du logement, de l’accès à la santé, de l’éducation autant de thèmes sur lesquels nous devons tout à la fois développer des propositions concrètes qui répondent aux besoins et aux aspirations. Et montrer également que ces réponses affrontent les logiques libérales alors que l’extrême droite, non seulement, n’aborde jamais la responsabilité du capital dans l’aggravation des crises actuelles, mais avance des propositions qui répondent aux intérêts du capital en crise.

La réussite du RN interroge enfin notre capacité à mener ce qu'on appelait avant un “travail de masse”, incluant implantation, nombre, et aussi l’attention au rôle des communistes dans les “organisations de masse”, le monde associatif et syndical notamment.
Dans tous les pays, les conquêtes électorales de l’extrême droite débutent par des conquêtes locales, lors des municipales en France en 2014, puis en 2020, puis lors des régionales de 2021 et les départementales qui préparaient les législatives.

Nous devons donc travailler notre implantation de masse, et notre implantation locale avec plusieurs thèmes qui fondent notre identité de communistes en France et notre originalité :

• Avec des élus pas comme les autres, qui sont au service de la population et qui ne s’enrichissent pas.
• Des élus au service de la population, présents sur le terrain et dans les luttes du monde du travail
• Des élus porteurs de valeurs et de convictions, d’un projet de société différent
• Un parti qui unit, qui rassemble la classe travailleuse, qui fait vivre la solidarité en actes au plus près des populations
• Un parti qui permette de s’organiser, pour les luttes et les combats d’aujourd’hui y compris sur les lieux de travail
• Un parti qui porte une véritable alternative pour sortir des crises que nous traversons.

Enfin, pour battre l’extrême droite, se pose la question du rassemblement, non pas comme rempart républicain ou démocratique à la victoire de celle-ci, mais comme une alternative crédible, fondée sur les luttes des travailleurs et porteuse d’une alternative. La question des contenus est donc essentielle dans cette démarche de rassemblement qui doit se construire en lien avec les luttes à tous les niveaux d’organisation de la société.

J’en termine en redisant que nous aurions tort de considérer la montée de l’extrême droite comme inéluctable, son influence comme irréductible. L’électorat d’extrême droite est volatile, et se comporte différemment en fonction des élections et de la question qui leur est posée. Il est composé d’un empilement d’électorats aux motivations différentes. A nous de trouver le chemin pour reconquérir celles et ceux qui parmi eux aspirent à la justice sociale, à la paix et au progrès de société, au développement de la démocratie, aux valeurs du 25 avril.

Je vous remercie.

Sébastien Laborde
membre du comité exécutif national du PCF
secrétaire départemental de la Gironde
Lisbonne, le 26 avril 2024

source : https://www.pcf.fr/intervention_pcf_la_conference_de_l_union_des_resistants_antifascistes_portugais

Tag(s) : #PCF

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