L'Unità, le centenaire du journal et de l'alliance entre ouvriers et paysans
Publié le 15 février 2024
Nous publions l'article de Guido Liguori paru dans 'Il manifesto' du 13 février 2024, à l'occasion du centenaire de la fondation du journal 'l'Unità'.
Fondé le 12 février 1924 par Antonio Gramsci, dirigé par Ottavio Pastore puis par Alfonso Leonetti.
La publication du quotidien "l'Unità" a été décidée à Moscou au cours de l'été 1923 par l'Internationale communiste. Rien d'étrange à cela : l'Internationale était alors pour tous les communistes "le parti mondial de la révolution", une organisation unitaire, au-delà des différentes affiliations nationales. C'est le finlandais Kuusinen qui, le 5 septembre, communique la décision au Parti communiste italien et aux socialistes "fusionnistes" ou "tertiaires", favorables à la fusion avec le Parti communiste italien et la IIIe Internationale, née en 1919 sous l'impulsion de Lénine.
Serrati et trois autres fusionnistes ont été exclus (pour fractionnisme) du Parti socialiste : il faut réagir. Il est donc décidé de lancer un journal qui ne soit pas strictement un journal de parti, mais fermement entre les mains des communistes, auquel contribueraient les partisans de Serrati qui se préparent à conflue. L'objectif est de contrer l'influence parmi les ouvriers du prestigieux Avanti !, l'organe socialiste dirigé par Pietro Nenni.
La fusion est une question épineuse. Tout au long de 1922 et de la première moitié de 1923, l'Internationale avait poussé à l'unification avec les socialistes, rencontrant la ferme opposition des communistes italiens menés par le chef du parti Bordiga (et à la seule exception de la droite intérieure de Tasca). À force de repousser l'unification, même parmi les socialistes, les récalcitrants avaient fini par l'emporter : seuls quelques-uns (mais de bons éléments) rejoindraient le PCI. Parmi eux, Serrati, Di Vittorio et Li Causi.
Même Gramsci était depuis longtemps opposé à la fusion : L'Ordine Nuovo s'était durement heurté à Serrati au cours du "biennium rouge" de 1919-1920, et la controverse sur la scission de Livourne ne s'était pas éteinte. En 1931, Togliatti se souvient : "Nous avons combattu Turati et Modigliani à fond, mais Serrati, à Livourne, nous l'avons détesté. Il était alors, pour nous, l'ennemi principal".
C'est dans ce contexte que fut décidée la naissance d'Unité et que Gramsci écrivit la fameuse lettre du 12 septembre 1923 à l'Exécutif de son parti, proposant le nom qui deviendrait célèbre par la suite. Il était à Moscou depuis juin 1922 et, au mois de décembre suivant, il quitta le "pays des Soviets" pour Vienne, afin de se rapprocher de l'Italie, où il ne pouvait pas retourner sous peine d'être arrêté. Il avait passé plus d'un an à osciller (dira-t-il plus tard) entre l'enclume de l'Internationale et le marteau d'une Bordiga inflexible dans ses positions sectaires et schématiques. Au cours de l'été, Gramsci avait franchi le Rubicon, acceptant la fusion et surtout la demande répétée de l'Internationale de prendre la place de Bordiga.
La lettre du 12 septembre est une petite leçon importante de politique : les décisions de l'Internationale ne doivent pas être simplement appliquées, mais traduites (un concept stratégique dans le lexique de Gramsci). Pour Gramsci, L'Unità "devra être un journal de gauche, de la gauche ouvrière, fidèle au programme et à la tactique de la lutte des classes. Il devra informer sur les communistes, mais aussi "sur les discussions des anarchistes, des républicains, des syndicalistes". La polémique antisocialiste, recommandait-on, ne doit pas être sectaire, mais se faire "dans un esprit politique". Et puis, le fameux passage : "Je propose comme titre L'Unità puro e semplice, qui sera une signification pour les ouvriers et aura une signification plus générale".
La politique de "gouvernement ouvrier et paysan" décidée par l'Internationale devait être adaptée à la situation italienne : "nous devons donner une importance particulière à la question méridionale, c'est-à-dire à la question dans laquelle le problème des rapports entre ouvriers et paysans se pose non seulement comme un problème de rapports de classe, mais aussi et surtout comme un problème territorial".
"L'unité, donc, non seulement entre communistes et "tiers", mais entre ouvriers et paysans, entre Nord et Sud : ce n'est pas un hasard si L'Unità (avec un L majuscule, comme l'écrit Gramsci, mais qui deviendra minuscule dans l'en-tête du journal) avait été le nom de la revue fondée en 1911 par Gaetano Salvemini, lue avec grand intérêt par le jeune Gramsci en tant qu'étudiant, ouvrier sarde et méridional avant même de devenir socialiste et révolutionnaire, et ensuite communiste. Gramsci, à la tête du Pcd'I - il sera nommé secrétaire à l'été 1924 - se concentrera sur la question de l'alliance des ouvriers avec les paysans (que Bordiga avait complètement ignorée), en particulier avec les paysans du Sud, non seulement les ouvriers, mais aussi les petits propriétaires fonciers victimes du "colonialisme" du Nord, dans un Mezzogiorno qu'il décrira sans ambages comme "une immense campagne devant l'Italie du Nord".
La "quistione méridionale" apprise de Salvemini, revisitée à la lumière de Lénine et, à partir de 1926, enrichie de la reconnaissance du rôle central des intellectuels, grands et petits producteurs de "sens commun" : un exemple remarquable de "traduction", qui a ouvert la voie à la réflection sur l'hégémonie. C'est ainsi que commence l'histoire de L'Unità. Quotidiano degli operai e dei contadini (Quotidien des ouvriers et des paysans), publié à Milan à partir du 12 février 1924, dirigé par Ottavio Pastore puis par Alfonso Leonetti, deux anciens ordovistes. La même année, il devient l'"organe du parti communiste italien". À partir de 1927, au début de la dictature fasciste, le journal est clandestin, imprimé à l'étranger sur du papier de soie, introduit en Italie par les communistes qui s'obstinent à vouloir continuer à être présents dans le pays. Il renaîtra en 1945 sur d'autres bases, voulues par Togliatti pour en faire un instrument du "nouveau parti" : un journal populaire à haute diffusione (militante), un Corriere della sera de gauche, qui sera longtemps protagoniste des batailles pour la défense du travail et de la démocratie, l'âme des luttes des communistes italiens.
source : http://www.rifondazione.it/primapagina/?p=55673