À l’occasion du 50e anniversaire de la signature des Accords de Paris (27 janvier 1973), Hélène Luc, sénatrice honoraire, présidente d’honneur de l’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV), a accordé une interview exclusive au Courrier du Vietnam autour de cette étape brillante dans l’histoire de la diplomatie révolutionnaire vietnamienne à l’ère Hô Chi Minh.
Hélène Luc, sénatrice honoraire, présidente d’honneur de l’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV), ancienne vice-présidente de la Commission des affaires étrangères et ancienne présidente du groupe communiste, républicain et citoyen au Sénat. Photo : NVCC/CVN |
Pourquoi avez-vous soutenu de tout cœur la guerre de résistance anti-américaine du peuple vietnamien ?
J’avais 15 ans en 1947. J’entendais le récit des résistant(e)s qui avaient chassé les Allemands du sol français, de toutes celles et ceux qui sont morts en héros dans les camps de concentration. Parmi eux, la Corse Danielle Casanova qui, avec Claudine Chomat, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Jeannette Vermeersch, avait créé l'Union des jeunes filles de France (UJFF) le 28 mars 1936, à Marseille.
J’ai adhéré à cette organisation qui a mené des actions en solidarité avec le peuple vietnamien dans sa résistance contre les colonialistes français. Nous faisions des manifestations à vélo avec des mots d’ordre contre la guerre, avec des fleurs en papier. Nous faisions signer des pétitions contre la guerre.
En octobre 1953, on m'a demandé de monter à Paris pour participer à la direction nationale de l’UJFF, branche féminine des organisations de jeunesse du Parti communiste français (PCF). Je m'y suis retrouvée par la suite avec Raymonde Dien, un symbole de l'opposition contre la guerre d'Indochine. Et jusqu’en 1954, nous participions de plus en plus à la lutte pour la paix au Vietnam.
Adhérente au PCF depuis 1949, j’ai appris à mieux connaître le Président Hô Chi Minh, le rôle qu’il a joué en 1921 au Congrès de Tours avec Marcel Cachin et Paul Vaillant-Couturier.
Je comprendrais plus tard aussi son rôle pour aider le Parti communiste à faire l’analyse du colonialisme et à déterminer les mots d’ordre pour permettre à ces peuples de se libérer de ce système qui l’a conduit à construire des bagnes tels que celui de Poulo Condor ("Nhà tù Côn Đảo" en vietnamien) que j’ai visité avec une grande honte pour la France.
Accords de Paris, un processus de négociations historiques. |
Infographie : VNA/CVN |
Je suis devenue en 1958 la secrétaire nationale de l’UJFF. À l'époque, l’exécutif américain prenait le relais de la France et a déclaré la guerre du Vietnam.
J'étais à nouveau plongée dans la lutte pour la paix et l’indépendance du Vietnam avec l’UJFF et le Parti communiste. Je participais à la direction du Parti communiste dans le Val-de-Marne et j'étais en 1963 secrétaire de la section du Parti communiste à Choisy-le-Roi (une commune française située dans le département du Val-de-Marne, en région Île-de-France).
Avec le maire de Choisy-le-Roi, Fernand Dupuy, et avec mon mari Louis Luc, journaliste à l’Humanité qui deviendra adjoint au maire puis maire de Choisy-le-Roi (de 1979 jusqu'à sa mort en 1996), nous sommes très mobilisés contre la guerre du Vietnam.
La lutte pour la paix au Vietnam faisait partie intégrante de celle que nous menions en France pour le bien-être de la jeunesse, son droit à l’instruction et à la culture et le droit des filles à participer à la vie publique à égalité avec les hommes.
La ministre des Affaires étrangères du Front national de libération du Sud-Vietnam, Nguyên Thi Binh, représentante du Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam, signe les Accords de Paris en 1973. |
Photo : Archives/VNA/CVN |
D’après vous, quelles sont les clés du succès des Accords de Paris ?
Les clefs du succès des Accords de Paris, c’est d’abord la lutte héroïque du peuple vietnamien sous la direction du Président Hô Chi Minh associée à la lutte diplomatique qu’il a toujours privilégiée avec la direction du Parti communiste du Vietnam. C’est aussi l’aide très importante de l’Union soviétique et de la Chine ainsi que l’aide du mouvement international pour la paix.
Cette guerre, comme l’a montré l’historien français Jean-François Sirinelli, est “un évènement-monde, c'est-à-dire un évènement qui, par ses caractéristiques et sa durée, a une résonance dans le monde entier”.
On le voit bien encore aujourd’hui lorsque surviennent de grands évènements, il est fait référence à la guerre du Vietnam.
Une des clefs du succès a été la visite et le soutien de personnalités, des partis de toutes opinions politiques et religieuses porteurs de cette volonté d’aider ce peuple si vaillant à retrouver la paix. Ils venaient de France mais aussi d’Europe, d’Amérique.
Comment évaluez-vous le rôle du Parti communiste du Vietnam pour aboutir aux Accords de Paris ?
Avec le Président Hô Chi Minh à sa tête et les différents secrétaires généraux, le Parti communiste du Vietnam a joué un rôle primordial.
Son grand mérite a été d’être capable d’associer tout le peuple à cette lutte pour la paix et l’indépendance et d’en être le porte-drapeau naturel, par conséquent reconnu comme tel, c’est ce qui a donné à Hô Chi Minh l’aura qu’il a acquise et qui ne le quittera jamais.
En 2013, avec le maire communiste de Choisy-le-Roi de l’époque Daniel Davisse, nous avons organisé le 40e anniversaire de la signature des Accords de Paris, en présence de Nguyên Thi Binh - la ministre des Affaires étrangères du Front national de libération du Sud-Vietnam, et de Trinh Ngoc Thai - membre de la délégation de la République démocratique du Vietnam à la Conférence de Paris sur le Vietnam et assistant personnel de M. Xuân Thuy, qui était chef de la délégation.
La maison N°17, rue Cambacérès, à Verrières-le-Buisson, où séjournait la délégation du Gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud-Vietnam. |
Nous sommes allés avec eux à Verrières-le-Buisson (une commune française située à 9 km au sud-ouest de Paris, dans le département de l’Essonne, en région Île-de-France) où résidait Mme Binh lors des négociations à Paris, avec beaucoup d’émotion.
Nous sommes retournés dans le pavillon de la rue Darthé à Choisy-le-Roi, où avaient lieu les discussions secrètes entre la délégation vietnamienne et l’Américain Henry Kissinger - conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, et avons retrouvé le cerisier sur lequel Mme Binh cueillait des fruits avant que Kissinger n’arrive, pour la petite histoire !
À votre avis, quelles sont les significations des Accords de Paris pour les peuples épris de paix et de justice ainsi que pour les mouvements de libération nationale dans le monde à l’époque ?
Je crois l’avoir démontré à plusieurs reprises, mais pour résumer, on peut dire que la guerre du Vietnam, ses causes, sa grande victoire représentent un enseignement mondial.
En effet, il ne se passe pas un seul grand évènement mondial sans que les dirigeants des pays, les journalistes ne fassent référence à cette guerre et ses enseignements.
Lorsque le 2 septembre 1978 votre gouvernement a invité une délégation de Choisy-le-Roi, conduite par son maire Louis Luc, nous avons rencontré le général Vo Nguyên Giap qui nous a dit en nous serrant dans ses bras : “Les Américains avaient 543.000 hommes, des avions et du matériel sophistiqué, nous nous étions 86.000 mais nous avons vaincu parce que nos soldats et notre peuple étaient motivés, prêts à tous les sacrifices. Le gouvernement américain a été contraint de s'asseoir à la table des négociations. Cette guerre ne pouvait pas être gagnée militairement”.
Aujourd’hui, nous devons en tirer les enseignements pour les guerres insensées. Il faudra éviter la solution militaire et bien s'asseoir à une table des négociations. C’est ce que préconise le gouvernement vietnamien et je m’en réjouis.
La Conférence internationale sur le Vietnam, tenue du 26 février au 2 mars 1973 à Paris, s’est achevée par la signature des Accords de Paris stipulant un cessez-le-feu et le rétablissement de la paix au Vietnam. |
Photo : Archives/VNA/CVN |
Cinquante ans après la signature des Accords de Paris, que pensez-vous de notre pays - le Vietnam ?
Après la guerre et surtout avec le lancement de la politique de Renouveau (Dôi moi) en 1986, le gouvernement vietnamien a établi tous azimuts des relations diplomatiques à travers le monde. Le Vietnam continue à appliquer, ce qui a été au cœur de son action avec le Président Hô Chi Minh, une politique extérieure qui le relie avec tous les pays du monde.
Des journalistes, après la guerre, prédisaient qu’il faudrait au moins 100 ans pour que le Vietnam devienne un pays moderne ! Eh bien, 50 ans après les Accords de Paris, il vient d’être classé sur la liste des 30 pays les plus puissants au monde de l'année 2022 avec un PIB de plus de 363 milliards de dollars et une population de plus de 98,2 millions de personnes, selon le classement de US News & World Report, une entreprise média américaine. C’est une avancée incroyable !
L’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV), dont je suis la présidente d’honneur et dont mon ami Nguyên Hai Nam est le président, contribue de toutes ses forces à développer l’amitié et la solidarité qui existent entre nos deux pays, notamment avec la jeune génération.
Quant à moi, l’amitié et la solidarité ne me quitteront pas. J’adresse aux lectrices et lecteurs du Courrier du Vietnam mes meilleurs vœux à l’occasion du Têt traditionnel 2023 et mes meilleurs vœux de prospérité et de paix pour le Vietnam !
Propos recueillis par Phuong Nga/CVN
source : https://lecourrier.vn/les-accords-de-paris-un-evenement-monde/1153211.html