Nous pourrions consacrer notre vie à dénoncer les ravages qualitatifs et quantitatifs occasionnés par la mafia qui s’est emparée de la communication et sans qu’il ne se passe rien !
Auteur: Fernando Buen Abad | informacion@granmai.cu

Une dénonciation, à elle seule, ne produit ni prise de conscience ni action. C'est scandaleusement douloureux lorsqu'il s'agit de notre plus grande fragilité politique en matière de communication, qui est, très probablement, notre pire faiblesse dans les espaces de lutte de la « gauche » ou du « progressisme ». Nous pourrions consacrer notre vie à dénoncer les ravages qualitatifs et quantitatifs occasionnés par la mafia qui s’est emparée de la communication, sans que rien ne se passe !
Voilà où nous en sommes. Pas même les défaites les plus cruelles ne nous ont amenés à freiner (et encore moins à résoudre) les causes des dommages et des défaites que le capitalisme nous impose, également, à travers ses médias de masse ou ses armes de guerre idéologique.
Nul n’y échappera. Ce fut une clameur au Forum de Sao Paulo qui s'est tenu à Caracas les 18, 19 et 20 novembre, avec l'hospitalité de l'Université internationale des communications.
Dans les rangs des « nôtres », toutes les administrations et tous les dirigeants devraient « cogiter » sur leurs concepts ou leurs préjugés accumulés en matière de communication. Revoir leurs convictions les plus fermes et se demander d'où ils les ont sorties, comment ils ont appris à les répéter, au bénéfice de quoi leur attribuent-ils passion et confiance, et quels résultats ont-ils obtenus de leur cocktail d'idées de communication.
Une grande partie des administrations et des dirigeants n'ont jamais participé à une quelconque formation, et encore moins à la conception de tactiques et de stratégies de communication contre-hégémoniques.
Un certain « sens commun » prolifère, influencé par le verbiage de publicistes commerciaux ou de consultants recrutés qui, à travers des « sondages », des groupes de discussion ou divers dispositifs quantitatifs, imposent des « vérités » convaincantes visant à lubrifier les flux d'argent non négligeable.
Des administrations et des dirigeants se lancent corps et âme dans cette danse d'esclavage idéologique communicationnel, quelle que soit la phase de leur logique stéréotypée, en période des campagnes électorales, ou dans la conception de stratégies pour la santé, l'éducation, le logement ou la culture.
Ils pensent que les formules du « succès » pour le marché peuvent être transposées linéairement pour que les déclarations politiques des administrations gouvernementales aient du « succès ». Un fatras théorique et méthodologique extrêmement coûteux et sans solutions. Il n'y a pas de pire sourd que celui qui n'écoute que lui-même, convaincu que ses idées, ses moyens et ses manières sont un somment d’efficience et d'efficacité communicationnelle. Une odieuse copie du style bourgeois.
Il existe au moins cinq antidotes aux manies communicationnelles de l'individualisme et du mercantilisme infiltrées dans la tête d’une certaine « gauche » et du « progressisme » :
- L'agenda thématique ne doit pas découler des hypothèses ou des conjectures de la situation actuelle, mais des luttes sociales.
- Les gouvernements doivent assortir leur base instrumentale pour la communication d'une politique de démocratisation des outils de communication.
- Cesser de transférer l'argent du peuple aux monopoles médiatiques.
- Rendre transparent le financement de la communication, complètement.
- Développer des instruments scientifiques spécialisés dans le perfectionnement du discours transformateur, de sa communication et de sa rétroamlimentation.
Il ne devrait pas exister d’administration ou de leaders populaires engagés dans la lutte qui n’aient pas étudié une spécialité en communication transformatrice, se perfectionnant en temps réel pour maîtriser l'ubiquité et la vitesse de communication des peuples.
Mais la réalité est sombre. Dans le terrible paysage de nos défaites en matière de communication, l'arrogance et les solutions de fortune règnent en maître. Souvent répétitives. Rien de tout cela ne nie les progrès accomplis ni les exceptions honorables qui sont cependant insuffisantes. Rien n'efface les « bonnes intentions » ni les « bonnes résolutions », qui ne servent à rien ou à pas à grand-chose si la désorganisation et la confusion sémantique des intérêts individuels l'emportent sur les problèmes communs.
Les gouvernements et les dirigeants, qui semblent plus enclins à la connivence avec la stupidité des médias bourgeois qu'à une véritable révolution communicationnelle issue des bases sociales, ont la plus haute responsabilité. L'avancée des droites et des extrêmes droites est un « talon d'Achille ».
Il est urgent pour nous, dès maintenant, de créer un Courant de la Communication émancipatrice contre le néo-nazi-fascisme, d'ouvrir une lutte en profondeur contre les idées, les médias et les voies du suprémacisme histrionique, ses financements, ses diffuseurs, ses prédicateurs et ses complices.
Mais nous constatons une lenteur coutumière et ne voyons aucune option possible d'une plateforme de sommet des pays pour organiser et résoudre les problèmes actuels de communication, comme le proposa à l’époque le rapport MacBride. D'où l'urgence d'un deuxième rapport : « Voix multiples, un seul monde ».
Le manque de volonté politique de nombreux gouvernements et gouvernants face à la nécessité d'un nouvel ordre mondial de l'information, de la communication et de la culture est choquant. Il blesse et indigne.
Il est déjà assez compliqué et dangereux de s'engager dans un examen critique du modèle bourgeois hégémonique de « communication », et le litige scientifique entre les nôtres n’est pas moins compliqué. Rien de tout cela n'omet l'obligation de méthode, qui exige que nous présentions des références de fraternité et de camaraderie y compris dans le travail de critique et d'autocritique de nos rangs communicationnels. Mais cela ne nous rendra pas indolents ou permissifs. Nous l’avons été suffisamment.
Il nous faut maintenant prendre des mesures urgentes pour combler les lacunes et organiser les forces en vue d'une contre-offensive hybride, créative et énergique pour rattraper les années de retard que nous avons accumulées depuis que la Commission internationale d'étude des problèmes de communication a produit le rapport MacBride (1980), « Voix multiples, un seul monde » pour un nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (Nomic).
Il est urgent de prendre une décision politique, d'honnêteté et d'audace. Il est urgent d'organiser un sommet latino-américain et caribéen en matière de communication afin d’abolir l'esclavage sémantique, l'esclavage technologique, l'esclavage juridique et politique, l'esclavage financier et l'esclavage sémiotique.
source : https://fr.granma.cu/mundo/2022-12-13/notre-plus-grande-faiblesse