Par Fabien Gay / 13 octobre 2022
Nous vivons une période critique, décisive, charnière. L’urgence est là. Pour notre économie, pour les entreprises, les collectivités, les citoyennes et les citoyens, la crise énergétique que nous vivons est un défi et elle va s’inscrire dans la durée.
La situation nous oblige. Avec lucidité, dans une optique constructive, nous devons étudier, comparer, proposer et débattre des moyens de notre souveraineté énergétique. Surtout, nous devons nous montrer capables d’une vision d’ensemble.
Nous ne résoudrons pas cette crise énergétique en l’abordant segment par segment comme vous nous le proposez.
Un texte sur les dérogations et ajustements cet été, puis sur les renouvelables, puis après le nucléaire, et enfin une loi de programmation pluriannuel de l’énergie.
Au contraire, nous avons besoin d’une vision d’ensemble au risque de subir et de revivre des crises.
Car ce que nous traversons aujourd’hui. Cette envolée des prix, ces menaces de black-out. Ce n’est pas qu’un simple et malheureux empilement des conjonctures.
C’est l’obsolescence d’un système énergétique tout entier qui est en train de s’écrouler.
Il y a une dimension conjoncturelle, c’est indéniable. Le déclenchement de la guerre en Ukraine bien sûr puis un été digne d’un cataclysme climatique, lui aussi lourd de conséquences sur la production électrique.
Les besoins en climatisations décuplés en Espagne, et avec eux, la consommation énergétique du pays. Des sécheresses record partout en Europe, des pénuries d’eau inédites.
Pour les barrages français, qui produisent 12% de l’énergie du pays, nous connaissons un niveau d’eau historiquement bas.
Le tout, dans un contexte de mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire, dont une partie n’était pas prévue.
Une somme de facteurs, qui se conjuguent, et qui échappent à notre emprise directe, immédiate.
Mais ce que nous maîtrisons, ce qui nous appartient, c’est la décision politique. Et ce que nous voulons, ce n’est pas un Etat actionnaire qui gère comme le privé, mais un Etat volontariste qui a une vision d’avenir.
Parce que l’emballement des prix de l’énergie que nous connaissons aujourd’hui, c’est un résultat direct du marché européen de l’énergie et de plus de vingt ans de libéralisation du secteur.
Lier le prix du gaz et de l’électricité nous conduit à cette situation, où le prix payé par les Etats et par les consommateurs ne reflète en rien le mix électrique national.
Quand le KiloWattHeure atteint 1000 euros, comme il l’a fait cet été, nous ne parlons pas d’une réalité matérielle, mais d’un résultat spéculatif, artificiel. Les Français et les Européens ne paient pas le coût de l’énergie mais celui de l’Europe libérale des traders.
Il suffit d’en regarder le fonctionnement : celui d’un prix de l’énergie commun à tous les Etats membres. Les usagers paient le même prix, que leur pays ait investi dans le nucléaire, dans les renouvelables, ou qu’il soit resté dépendant des énergies fossiles.
Il faut faire le bilan de ce mécanisme.
D’abord, d’un point de vue de la crise actuelle. En France, seuls 7,7% de la production électrique dépendent du gaz. Rien ne justifie que les cours de l’électricité, dopés par les prix du gaz, se répercutent sur nous avec une telle force.
Allons chercher une sortie temporaire du marché européen. Emboîtons le pas de nos voisins espagnols, portugais, qui ont fait valoir que non, ils n’ont pas à subir les cours du gaz qui ne reflètent aucunement leur mix énergétique.
Nous avons, en France, 92% de notre mix électrique issus du nucléaire, de l’hydraulique, du photovoltaïque, du solaire, et de l’éolien. 92%. Nous avons réduit nos importations de gaz et notre dépendance aux énergies fossiles.
Nous avons réduit nos importations de gaz sur les dernières années. Nous sommes légitimes à porter cette demande sur la scène européenne.
Alors, Madame la Ministre, je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous avons des débats politiques. Mais je tiens à vous le dire. Si vous décidez d’engager cette bataille, nous la mènerons à vos côtés.
Entendons-nous bien : je ne parle pas d’interrompre toute interconnexion, car il faut garder de la solidarité européenne. Il s’agit là de réformer le système européen en profondeur ; mais c’est un chantier qui prendra des années.
Nous pouvons obtenir une dérogation dans les prochains mois si nous nous battons. Car nous n’avons pas des années pour agir. Les dégâts sont déjà là.
Pour nos collectivités territoriales, les factures explosent. C’est + 30% en moyenne. Pour certaines, nous en sommes à 150%. Dans mon département, c’est 2 millions pour Noisy le Sec, 3 à 5 pour Neuilly sur Marne ou encore près de 30 millions pour le département.
Des arbitrages intenables sont déjà en préparation. Augmenter les impôts locaux ? Renoncer à des investissements majeurs comme la rénovation thermique des bâtiments ?
Nous devons créer un bouclier tarifaire réel et immédiat, en rétablissant les tarifs réglementés de l’électricité pour toutes les collectivités territoriales. Il faut aussi baisser la TVA à 5,5%.
Quant à la fin des tarifs réglementés de vente du gaz en juillet 2023, c’est un grand danger dans la période. Il faut empêcher cette extinction.
C’est une nécessité absolue, qui concerne aussi les entreprises éléctro-intensives. Avec l’inflation des prix de l’énergie, nous savons pertinemment que l’emploi sera la variable d’ajustement.
Des fermetures sont déjà envisagées, ou du chômage partiel comme chez Duralex et Arc International.
Madame la Ministre, je pose la question en ayant déjà une certaine intuition. Quel sera le coût du chômage partiel pour l’Etat ? Sommes-nous vraiment dans un scénario préférable au rétablissement des tarifs réglementés pour tout le monde, y compris les artisans et commerçants comme les boulangers ?
Car ce qui est sûr, c’est que les TRV sont préférables au bilan social qui est à craindre. Nous allons traverser au moins deux ans de crise et les prix ne redescendront jamais.
Déjà 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique. Combien de plus vont basculer ? Combien d’impayés vont tomber ? Il y a une urgence sociale.
Pour les deux prochaines années, il faut interdire les coupures à tous les fournisseurs, et garantir une puissance minimale à 3 KilosWattHeures.
Il faut des actions fortes dans l’immédiat, couplées à une planification. C’est un impératif qui pose la question d’EDF, notre outil industriel.
Madame la Ministre, je salue l’organisation de ce débat qui a lieu aujourd’hui. Mais je regrette que le Parlement ne soit pas associé sur une question aussi essentielle que la ré-étatisation d’EDF.
Le débat est légitime : une re étatisation, oui, mais pour faire quoi ? Si c’est pour faire un projet Hercule 2 qui viendra séparer les activités et en ouvrir aux capitaux privés, c’est non ! Et sans attendre 2025, il faut sortir de l’ARENH. Ce système qui n’a fait qu’enrichir les opérateurs alternatifs.
Car si nous défendons un grand service public de l’énergie, avec monopole public, c’est précisément parce que la crise actuelle nous offre une démonstration. Le secteur privé est inapte sur cette question.
D’autres crises nous le prouveront : dans les années à venir, nous devrons investir des milliards d’euros pour la sortie des énergies fossiles.
Il nous faut d’ailleurs impérativement nous extraire de la Charte européenne de l’énergie. Ce traité du plein pouvoir aux multinationales, qui leur permet de réclamer des milliards à des Etats pour défendre leurs investissements dans les énergies fossiles.
Nous défendons le développement d’un mix électrique, avec des investissements dans le nucléaire de nouvelle génération et dans les énergies renouvelables, que nous n’opposons pas pour notre part.
Nous avons besoin d’une programmation de l’énergie, réelle, concrète, qui repose sur des indicateurs fiables et prévisibles. Tout l’inverse des aléas du marché.
Et pour cela, nous devons sortir l’énergie du secteur marchand et en faire un bien commun de l’humanité.
source : https://senateurscrce.fr/activite-des-senateurs/article/sortons-l-energie-du-secteur-marchand