L'épidémie de Covid-19 a suspendu la mobilisation de centaines de milliers de personnes qui avait mis un terme à la présidence d'Abdelaziz Bouteflika tout en poursuivant le combat pour renverser le régime. Depuis, le pouvoir a mis à profit cette séquence pour tenter d'asseoir sa légitimité mais aussi accélérer la répression. Quant au Hirak, confronté à la permanence du "système" et au rôle central de l'armée, il cherche à bâtir de nouvelles voies transformatrices.
Depuis la fin des manifestations, en mars 2020, le pouvoir du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a été peu enclin aux concessions. Les arrestations, qui ne se sont jamais arrêtées, se sont multipliées tandis que la crise sanitaire était mise à profit pour entreprendre une reprise en main autoritaire. Ces dernières semaines, des figures emblématiques du Hirak, issues notamment d'organisations citoyennes, ont été lourdement condamnées. On compte actuellement quarante-six prisonniers pour délit d'opinion. Les journalistes, l'information indépendante ou les réseaux sociaux sont particulièrement visés afin de museler les médias et de mettre au pas toutes les formes de contestation. Les incarcérations et les parodies des procès d'Abdelkrim Zeghileche et de Khaled Drareni sont caractéristiques du harcèlement judiciaire systématique des journalistes. L'arbitraire, les intimidations ainsi que les pressions policières sont désormais quotidiennes et la marque du nouveau pouvoir. On est donc bien loin des promesses d'ouverture.
Ce régime, dont l'armée demeure l'acteur principal, resserre les rangs et réconcilie les loyautés afin de gérer les difficultés qui s'annoncent. La crise économique et sociale dans sa dimension structurelle sous l'ère Bouteflika mais aussi avec l'effondrement des prix des hydrocarbures et les conséquences de l'épidémie risque d'être explosive. Pour cela, le pouvoir algérien cherche à reprendre la main à l'occasion du prochain vote sur la réforme constitutionnelle. Il s'agit de toute évidence d'une manœuvre car la nature du système hyperprésidentiel demeure tandis que les textes antérieurs ont été systématiquement violés au gré des intérêts de la caste dirigeante prédatrice et corrompue. Par ailleurs, le pouvoir a engagé une intense bataille idéologique pour scinder le Hirak. A. Tebboune prétend même être le dépositaire d'une tendance censée incarner le nationalisme algérien face à une autre dynamique, radicale, portée par des forces étrangères.
Dans ce contexte le Hirak travaille à poursuivre les mobilisations car la volonté populaire demeure intacte et forte. Jusqu'à présent ce mouvement a été horizontal permettant aux différentes tendances de cohabiter dans la rue sans avoir à s'opposer. Cependant, cette organisation peine à relayer les revendications populaires sur le plan politique et occulte les débats sur des questions fondamentales (droits des femmes, place de la religion, diversité des identités) de peur de diviser le mouvement. De plus, le Hirak doit faire face à deux apparents défis qui constituent des impasses. Soit, il se formalise dans le jeu politique, le légitimant sans en tirer aucun profit soit, il demeure une force sociale incapable de peser sur les acteurs centraux. Dans les deux cas, le pouvoir trouvera les moyens de réaffirmer son hégémonie. Pour autant, la force considérable du Hirak reste sa durée. Le peuple algérien se réapproprie la politique dont il a été privé. Cette autonomisation du fait politique échappe au régime et permet l'émergence de forces expérimentées et créatrices qui seront à la base de transformations progressistes durables. Les espoirs du Hirak ne sont pas prêts de s'éteindre.
Pascal TORRE
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient
source : https://www.pcf.fr/algerie_vers_le_deconfinement_de_la_colere