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La pandémie est l'un de ces faits sociaux, ce n'est pas seulement une crise sanitaire. PHOTO : Patricia Villegas Puente de Angostu

Le journaliste, écrivain et spécialiste de la communication Ignacio Ramonet a limité ses déplacements et respecte, à La Havane – où il jouit d’une excellente santé –, les mesures d'isolement social. Cependant, de ce repos apparent est né un essai qui gagne de la reconnaissance en tant qu'outil pour aider à comprendre les circonstances et les conséquences de la covid-19 pour l'Humanité : « Face à l'inconnu... la pandémie et le système-monde ».

Afin d'en savoir plus sur les implications de la maladie mondiale sur la géopolitique mondiale et la communication sociale, Ramonet nous a fait part de quelques réflexions.

« Je définirais la pandémie comme un fait social total. C'est un concept issu des sciences sociales qui indique que, parfois, un fait social peut perturber tous les acteurs, toutes les institutions et toutes les valeurs d'une société. Il y a peu de faits sociaux totaux, mais la pandémie en est un, ce n'est pas seulement une crise sanitaire. La question qui se pose aujourd'hui est précisément de savoir si le néolibéralisme a une part de responsabilité dans la tragédie sanitaire. Dans quelle mesure ? Dans la mesure où le néolibéralisme est favorable à la réduction de la taille de l'État et aussi dans la mesure où le néolibéralisme cherche, précisément, à céder le maximum de pouvoir au marché, au détriment de l'État.

« Dans nombre de pays, tout ce qui relève de la Santé publique a vu son budget réduit. Dans le cas de l'Italie et de l'Espagne, il y a aussi les conséquences de la crise de 2008. Au sein de l'Union européenne, les pays du Nord, l'Allemagne en premier lieu, ont exigé, pour aider les pays qui avaient subi l'effondrement de leur modèle économique et financier imposé par le néolibéralisme (Grèce, Espagne, Italie, Portugal, Irlande), qu'ils mènent des politiques d'austérité de l'État, qu'ils fonctionnent avec moins de dépenses, si bien que le système de santé a été réduit, des hôpitaux ont été fermés, en particulier les lits des unités de soins intensifs, les respirateurs, et avec l’arrivée de la pandémie, ce n'est pas un hasard si l'Espagne et l'Italie sont confrontées aux difficultés qu'elles ont rencontrées, tout comme le Royaume-Uni d’ailleurs.

« Que se passera-t-il lorsque la pandémie sera passée et que les sociétés feront le point et demanderont des comptes aux membres du gouvernement qui ont mal réagi dans tous les grands pays du monde ? Pourquoi n'ont-ils pas prévu cette pandémie ? Je démontre dans cet essai que, de toute façon, aux États-Unis, il s'agit de la pandémie la plus annoncée au monde. Je donne des exemples de rapports de la cia, du Pentagone, de scientifiques, d'autres dirigeants étasuniens, d'hommes d'affaires comme Bill Gates, qui ont tous annoncé qu'un coronavirus, pas un virus, un coronavirus apparaîtrait avant 2025, et qu'il provoquerait ce qu’il provoque aujourd'hui, et qu'il trouverait les États sans masques, sans suffisamment de lits, sans écrans faciaux, sans combinaisons de protection, sans lits d'aucune sorte. La mauvaise gestion de ces dirigeants a causé des milliers et des milliers de morts, et ces morts ont des familles. Ce ne sont pas des morts qui se sont rendus coupables de quoi que ce soit, ce sont des morts innocents.

« L'autre aspect est d’ordre géopolitique. Comment allons-nous nous sortir de cette situation ? À quoi ressemblera le monde après cela ? Le monde ne peut pas être le même après cette pandémie, car nous ne savons pas comment elle va se terminer, combien de morts il y aura à la fin. Dans ce monde différent, ce que nous pouvons constater, d'un point de vue géopolitique, c'est que le leadership des États-Unis a fait naufrage.

Ce pays n'a pas été à la hauteur de la situation, notamment parce qu'il a été très mal administré. S'il est un dirigeant, parmi les dirigeants des grands pays du monde, qui s'est comporté, disons, de manière totalement imprésentable, totalement excentrique, c'est bien le président Trump, qui s'est comporté, dans bien des cas littéralement, comme un clown dans une situation aussi tragique, pour un pays ayant tant de responsabilités comme les États-Unis. Cette gestion va-t-elle coûter à Trump son élection ? C'est une autre des questions à laquelle nous n'avons pas encore de réponse, mais il ne fait aucun doute que tout cela l'a affaibli.

« Nous nous acheminons vers une catastrophe économique mondiale qui sera identique ou plus grave que celle de la Grande dépression de 1929, qui est la plus grande crise que le capitalisme ait connue depuis son apparition au 18e siècle. Alors, que se passera-t-il dans le monde ? Que se passera-t-il dans les pays du Sud qui sont déjà confrontés à des milliers de problèmes ? Quel genre de crise sociale et politique ? Que se passera-t-il dans les pays ravagés par des conflits militaires ? Nous ignorons, au niveau géopolitique, ce qui va se passer dans le monde, nous voyons l'aspect sanitaire du problème, mais cet aspect sanitaire déclenche une vague de situations. Évidemment, il laisse entrevoir un deuxième acte, qui sera économique, et un troisième acte, qui sera politique et social, et c’est ce qui va manifestement arriver.

« Certes, le virus n'est pas une révolution, mais il nous permet de voir, par exemple, comment dans de nombreuses sociétés les pauvres meurent, non pas parce qu'ils sont atteints du coronavirus, mais parce qu'ils sont pauvres, parce que la santé est hors de leur portée. Un traitement aux États-Unis coûte en moyenne 35 000 dollars . Tout le monde n'a pas cet argent, tout le monde n'a pas une assurance pour pouvoir se faire soigner ; les clandestins, les immigrants, qui se comptent par millions, n'ont même pas accès aux soins médicaux.

« En termes de communication, il y a évidemment un débat pour imposer un récit, car c'est la première bataille, celle de la communication, avec 4,5 milliards de personnes enfermées chez elles. La première leçon est que ce qui s'impose c'est la communication numérique, tout le monde a développé la communication numérique à travers les réseaux sociaux, à travers la messagerie, c'est ce qui a prévalu. Les gens n'ont pas eu accès au papier, les librairies ont été fermées, les kiosques à journaux également. Il y a donc eu un plus grand triomphe du numérique, je dirais l'apothéose. Une autre leçon, et c'est quelque chose que nous avions déjà annoncé, c’est que les données sont la matière première dominante de notre époque. Ce sont ces données qui ont aujourd'hui de la valeur, et c'est ce qui fait qu'il y ait de nouveaux empires, les nouvelles entreprises de données, le Big Data.

« Il y a aussi le problème de la vie privée. On dit que les pays qui ont le mieux combattu la covid-19 sont ceux qui ont utilisé les nouvelles technologies, en particulier les caméras de surveillance et les applications téléphoniques.

« En termes de communication, il y a eu une volonté d'imposer un récit, ce qui a donné lieu à une grande arnaque de fake news, fausses nouvelles contre-vérités, et il n'y a jamais eu autant de fausses nouvelles qu'à cette époque. Il convient également de rappeler, pour conclure, que la crise sanitaire est un aspect de la crise climatique, la véritable crise que connaît la planète est la crise climatique, qui demain pourrait réellement détruire la planète, comme l'avait annoncé Fidel Castro. »

 

source :  http://fr.granma.cu/cuba/2020-06-29/ignacio-ramonet-le-monde-dil-y-a-quelques-mois-a-disparu

Tag(s) : #Ramonet, #Covid19

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