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Photo: El Periodico

Umberto Eco, le philologue et sémioticien italien, plus connu comme romancier, signalait, peu avant sa mort, qu'une nouvelle fonction utile des journaux pourrait être l'analyse des pages web. Ce service, selon Eco, se justifiait au vu de la prolifération explosive d'informations générées par le web sans aucune validation, si bien que les lecteurs se trouvaient inondés par des contenus complètement idiots.

Je pressens que son remède pourrait être pire que la maladie. Cela suppose que les journaux aient un statut spécial par rapport à d’autres médias quant à la validation des informations qu'ils diffusent, alors que nous savons pertinemment que ce n'est pas le cas. À l’heure actuelle, trop de journaux dans le monde, sous la pression du marché ou de la menace de manquer de lecteurs, sont devenus aussi toxiques, en matière de génération de contenus idiotisants et idiotisés, que la plus stupide page Facebook.

En fait, si l’on se base sur l'idée particulièrement réactionnaire de la post-vérité, le pire, ce sont les dénommées « fermes d'informations » qui créent des contenus informatifs de manière automatisée, en utilisant des modèles et en les remplissant de régionalismes pour rendre les informations plus proches du lecteur, qu’il soit en Malaisie ou à Cuba.

Ma page Facebook reçoit constamment des contenus m’annonçant que, dans la municipalité havanaise de Plaza de la Révolution, un produit quelconque bat des records de vente, alors qu’il n'est pas vendu à Cuba, ni sur le marché formel ni sur le marché informel. Pour ce faire, on utilise des programmes informatiques qui, grâce à des technologies relativement nouvelles tels que les réseaux neuronaux, sont capables, en examinant des millions de pages numériques, de générer sans intervention humaine des contenus automatiques comme s'ils avaient été écrits par un être humain.

La plupart du temps, ces idioties sont plutôt de nature générique, des bêtises dans le style de : « la Science démontre que dormir du côté gauche du lit rend plus intelligent », mais il y a sans aucun doute des intentions plus perverses et plus sophistiquées (et pour dénoncer ce fait par un exemple concret, je vous invite à visiter le site http://www.elsewhere.org/pomo/, où tout le contenu est généré automatiquement).

À partir de ces mêmes technologies automatiques, il existe également une autre pratique malhonnête : l'analyse de situations où des paragraphes entiers de jugement de valeur sont rédigés, selon un certain parti pris éditorial ou une intention manipulatrice, mêlés à d'autres paragraphes créés par des algorithmes pour s'adapter au fur et à mesure à de nouveaux contextes.

On comprend ainsi la rapidité avec laquelle tant de réponses, plus ou moins longues, apparaissent dans les quelques secondes qui suivent un sujet d'actualité. Un exemple récent est la vitesse, en secondes, avec laquelle des contenus ont été générés sur le web pour attaquer l'élection du nouveau Premier ministre cubain. Il n'y a pas eu des centaines, mais des milliers de publications dans un intervalle très court. Or, il était difficile qu’autant de personnes aient pu savoir qui serait élu. On serait tenté de penser que des profils avaient été élaborés de toutes les personnalités potentiellement éligibles au sein de notre Assemblée nationale, afin de pouvoir diffuser les informations avec la rapidité requise par la campagne de dénigrement qui fallait lancer.

Derrière de telles inventions, il n'y a pas que les technologies informatiques, mais des décennies d'études sociologiques et psychologiques sur la manipulation de masse qui ont abouti à l’élaboration de technologies tout aussi perverses, visant à influencer les collectifs humains. Sans aucun doute, les technologies de manipulation d'images ou d'extraction d'informations capables de trouver, presque instantanément, de fausses photos ou d'autres plus subtiles qui, prises hors contexte, s'adaptent au message qu'elles veulent faire passer au consommateur, sont nouvelles de par leur portée. C'est ainsi que nous voyons des images de manifestations aux Philippines il y a quelques années, présentées comme des manifestations au Venezuela aujourd'hui.

Nous avons vu le pouvoir de tous ces nouveaux vieux trucs se déployer lors de l'élection de Trump, lors du référendum de Brexit, lors des élections au Brésil et nous pourrions continuer la liste…

Bien que les postulats sur lesquels reposent de telles créations perverses soient beaucoup plus anciens que ceux de Goebbels, qui les a systématisés et théorisés, qu’ils soient aussi vieux que la division de la société en classes, le degré de sophistication totalitaire qu'elles ont atteint aujourd'hui est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Au point que certains prétendent que la société mondiale actuelle n'est pas la société du savoir, mais plutôt un état de choses qui répond à une société de désinformation, en raison de l’excès de contenus d'information de pacotille.

Ne croyons pas qu'à Cuba, nous sommes hors de portée de tels phénomènes. Au contraire, nous sommes la cible consciente de ces machinations de guerre psychologique. Nous devons être conscients de ce fait afin qu’au moment de prendre parti, nous le fassions en sachant que chacun d'entre nous est le champ de bataille où se livre cette lutte acharnée et incessante, et à laquelle nous ne pouvons pas échapper.

La meilleure façon de nous équiper pour cette bataille qui se déroule en nous et sans notre consentement, reste la vieille maxime de la Révolution : Ne crois pas, lis. Et quand on dit « lire », le concept est aujourd'hui plus large que la simple lecture d'un texte. Malheureusement, à Cuba, nous disposons d’une grande quantité de contenus de pacotille générés par nous-mêmes, alors que nous devrions, à ce stade, être meilleurs dans notre métier.

Car en disant « lire », ce qui est vraiment révolutionnaire, c'est d'acquérir la capacité d'analyser au-delà des gros titres. Face à l'anecdote, chercher les raisons, les causes des phénomènes. Face à l'appel irrationnel aux impulsions, opposons la rationalité de l'intellect. Car s'il s'agit de comprendre, et de ne pas répéter tel contenu endoctriné mal digéré. La Révolution a l'avantage discursif d'être porteuse d'un ordre social et économique qui aspire à la rédemption humaine et non à sa réduction à une simple marchandise. La révolution ne se fait qu'avec des êtres complets. C’est ce à quoi nous aspirons, rien de moins.

source : http://fr.granma.cu/mundo/2020-02-13/la-guerre-psychologique-contre-cuba-chercher-la-profondeur-pour-fuir-lecho

Tag(s) : #Cuba

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