INTERNATIONAL publié le 31/01/2020
Intervention de Fabien Roussel à l'hommage à Amath Dansokho
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs, cher-e-s ami-e-s, cher-e-s camarades,
Je tiens tout d’abord à saluer la famille d’Amath Dansokho, ses enfants, Yacine et Alcaly, et transmettre à Elisabeth, son épouse, qui est actuellement en Ethiopie, toutes mes amitiés, André Ciccodicola, son ami, qui a représenté le Parti lors de l'hommage qui lui a été rendu au Sénégal. Je veux saluer la présence de Mor Ngom, qui représente le président sénégalais Macky Sall, de mon ami Samba Sy, de mesdames et messieurs les ambassadeurs, de Pierre Laurent, sénateur, du député Mansour Sy Djamil, parlementaires, responsables politiques, associatifs, artistes, Monsieur le maire de Montreuil. Bienvenue pour cet hommage qui se veut aussi un message d’espoir pour le futur comme l’aurait souhaité notre camarade Amath Dansokho.
Acteur majeur des luttes pour l'émancipation des peuples du continent, Amath a connu la prison et l'exil. Il restera dans les mémoires comme l'une des figures historiques de la gauche africaine aux côtés de Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Mehdi Ben Barka ou Nelson Mandela. Son engagement internationaliste lui a valu de croiser le chemin de figures historiques telle que Che Guevara, de nombreux dirigeants syndicaux et leaders politiques de tout premier plan en Afrique, en France et dans le monde entier.
Amath a été de tous les combats pour l’indépendance, le respect de la souveraineté du peuple, la justice et la paix dans son pays et ailleurs dans le monde.
Il s’est engagé très tôt dans ses jeunes années au sein de l’Union démocratique sénégalaise (UDS) section locale du Rassemblement démocratique africain (RDA) créé en 1946.
Souvenons-nous qu’à cette époque le Parti communiste français avait aidé à l’installation dans les colonies africaines des Groupes d’études communistes. Le PCF avait mené en alliance avec le Syndicat agricole africain puis le Rassemblement démocratique africain, le combat contre le travail forcé dans les colonies. Il a soutenu les revendications d’autonomie puis d’indépendance des pays africains sous le joug colonial.
Les convictions marxistes d’Amath et son grand intérêt pour les luttes d’indépendance menées en Algérie et au Vietnam notamment, l’amènent à créer avec d’autres, le Parti Africain de l’Indépendance (le PAI) en 1957 qui est le premier parti communiste des peuples d’Afrique subsaharienne. Ne croyant pas aux indépendances « en trompe l’œil », ce mouvement mène en 1960 une action révolutionnaire réprimée par l’armée française. Son échec aboutit à l’interdiction du PAI et à 13 ans d’exil pour Amath.
C’est aussi à cette époque des luttes pour l'indépendance que les pouvoirs français instaurent avec des pouvoirs africains complices, les instruments d’une nouvelle servitude économique, monétaire et militaire. A cette époque, seuls les communistes français ont dénoncé cette politique en France et au sein du Parlement français.
Durant ses années d’exil, Amath Dansokho participe à la Tricontinentale, cette union des forces révolutionnaires du monde entier, mise en place à l’initiative de Cuba. Il y rencontre de nombreux interlocuteurs. Il contribue également à Prague à la « Nouvelle revue internationale ; problèmes de la Paix et du socialisme » en tant que chargé des relations internationales.
Son engagement communiste l’amène aussi à s’opposer à l’intervention des troupes soviétiques dans la capitale tchécoslovaque, ce qui lui vaut une exclusion de la revue et une expulsion temporaire du pays.
Quand Amath revient en 1977 au Sénégal à la faveur d’une amnistie générale envers les opposants, il engage quatre ans plus tard, avec d’autres, la création du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) dont il restera le secrétaire général jusqu’en 2010.
Au cours de cette longue et riche période politique, il fut en responsabilité au plus haut niveau à chaque fois qu’il estimait qu’il était possible d’élargir le champ des libertés et d’améliorer la vie des travailleurs de façon concrète. Mais à chaque fois qu’il constata une dérive, il n’hésita pas à retourner dans l’opposition. Dans tous les cas de figure il fut un opposant farouche aux politiques d'austérité et c’est de ce point de vue que nos relations furent les plus fructueuses.
Les engagements d’Amath étaient à la fois concrets, universels et internationalistes. Fidèle, rassembleur, pacifiste, très attaché à la laïcité il sut aussi faire œuvre utile dans des crises internationales comme par exemple au Congo en 1997 ou en Côte d’Ivoire lors de la crise de 2011.
Le parcours et les valeurs d’Amath sont une boussole pour nous. Il aurait apprécié cet hommage, non pour les honneurs qui lui sont faits, mais pour l’espoir des propos qui sont tenus, pour appeler à s’appuyer sur les formidables atouts du continent africain et pour y développer les luttes et prises de conscience.
Comment ne pas rappeler en ces lieux les chiffres donnés récemment par Oxfam, qui montrent que les 1% les plus riches possèdent plus de 2 fois les richesses de 6,9 milliards de personnes [c’est-à-dire +de 90% de la population mondiale]. Voilà pourquoi la planète ne tourne pas rond. Pendant que la finance se déchaine, elle tente par ses relais politiques et d’influence, d’ériger partout des murs et des peurs entre les hommes et les femmes. Ces inégalités insupportables sont le fruit de l’expansion du capitalisme débridé, qui, plus que jamais, épuise l'être humain et la nature. Le libéralisme laisse place à la loi du plus fort. Il aboutit au chaos économique et environnemental. Et en dernier ressort, pour appuyer l’expansion de ses logiques, le capital n’hésite pas à actionner les pires leviers, celui du fascisme ou de l’obscurantisme. Celui de la guerre comme en 2011 contre la Libye, ou de la déstabilisation comme en Côte d’Ivoire avec en point d’orgue l’installation par des chars français d’un régime soumis aux intérêts des multinationales.
Permettez-moi pour clôturer mon propos de dire quelques mots sur la nécessité et l’urgence de révolutionner les relations entre la France et le continent africain. Nous avons tant à apprendre de l’Afrique, de ses pluralités, de sa complexité, de ses richesses culturelles, de ses peuples pleinement entrés dans l’histoire depuis des millénaires, et qui font face et résistent depuis des centaines d’années aux dominations venues d’Europe et d’ailleurs.
C’est une évidence qu’il faut asséner : l’humanité s’en sortira quand des relations et des échanges respectueux s’imposeront pour laisser ce continent s’épanouir. Il faut tout repenser en faisant preuve d’une grande humilité. Il n'y aura aucune solution militaire en Libye et nous demandons que l'Union africaine soit associée à toutes les décisions. En tenant compte de l'histoire récente et notamment du désastre de l'intervention militaire en Libye. Oui, il faut écouter ce que les peuples ont à nous dire. Ici comme là-bas, nous sommes victimes des mêmes logiques. En Afrique elles ont des conséquences encore plus grandes. Ici comme là-bas nous avons les mêmes aspirations, les mêmes rêves. L’humanité aspire à mieux vivre, aspire au bonheur. Et pour cela il y a besoin de sécurité. Celle dont jamais le monde de la finance ne parle sur les plateaux télé. « Sécuriser la vie » est plus que jamais à l’ordre du jour, au nord comme au sud. C’est mettre chaque être humain à l'abri du besoin, lui rendre toute sa dignité, pour en finir avec les angoisses du lendemain. Cela s’oppose frontalement au piège du libre-échange intégral. Mais il y a encore du chemin à parcourir. Moins d’un tiers de l’humanité possède une protection sociale. Voilà par exemple un chantier extraordinaire, utile, salvateur, créateur de millions d’emplois. En France et en Europe, en 1945 au sortir du fascisme et de la guerre, ce sont ces systèmes solidaires, avec le développement des services publics, qui ont propulsé nos sociétés dans la modernité. C’est d’ailleurs précisément ce à quoi s’attaque la majorité actuelle, qui déconstruit les solidarités et veut à terme offrir à la finance une part toujours plus grande de la richesse nationale française. C'est dans cet état d'esprit que le gouvernement casse notre modèle social en risquant de créer l’insécurité de la vie après 60 ans en France. Et cela, notre peuple l’a bien compris en demandant, après 60 jours de conflit, le retrait de cette réforme.
Sécuriser la vie, c’est permettre aux Africains de reprendre la maitrise des richesses du sol et du sous-sol. C’est coopérer, transférer des savoirs, des compétences, c’est permettre enfin de produire sur place. C’est ne pas interférer dans les systèmes monétaires, c’est donner la priorité dans la lutte contre l’évasion fiscale qui est un véritable pillage du continent – nous avons le même poison organisé ici.
Imaginons les bienfaits de tels échanges vertueux, de relations d’égal à égal. Cette manière de faire serait tellement utile à nos peuples. Ce sera en outre la réponse face aux défis environnementaux: sécuriser la vie pour préserver le climat, préserver la biodiversité dont tout indique que de graves reculs sont en cours avec une extinction massive des espèces. C'est mettre l'homme et la planète au cœur de toutes nos propositions.
Il y a décidément urgence à inventer d’autres relations entre la France et l’Afrique, c’est en tous cas notre projet commun. C’était celui d’Amath, poursuivons-le ! Et oui, pourquoi pas créer une union de toutes les forces progressistes unies contre les inégalités dans le monde.
Je vous invite à lever ensemble le verre de l’amitié et de la fraternité. Vous pourrez déguster les arachides venues spécialement du Sénégal. C’est un clin d’œil à notre regretté Amath, lui qui parlait souvent de la filière arachide, importante au Sénégal, pour la défendre, la développer, dans l’intérêt des paysans et du peuple sénégalais.
Je vous remercie.