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Quelles conditions pour le changement ?
Les leçons de la bataille de la loi sur le travail en France
Tuesday, 28 June 2016 13:32
Marie Nassif-Debs
Le slogan « Le changement, c’est maintenant » que le président français François Hollande avait posé au début de son mandat, il y de cela quatre ans, n’a pas dépassé le stade de la surenchère électorale. C’est la raison pour laquelle il a vite disparu, remplacé par une série de lois, de projets de lois et de mesures qui ont mis la barre à « tribord toute », ce qui eut pour effet de mettre en miettes l’alliance qui le mena au pouvoir et de pousser en avant les forces d’extrême droite qui ont su profiter des échecs répétés sur plus d’un plan. Et, si nous voulons, aujourd’hui, donner un aperçu rapide du bilan des quatre années d’un pouvoir venu, en principe, changer la situation créée par dix-neuf ans d’une gouvernance de droite, nous ne pouvons que dire : « ce furent des années maigres » durant lesquelles le chômage prit des allures galopantes tandis que les gouvernements successifs bafouillaient quant aux mesures à prendre concernant les impôts sur les gros salaires et les grosses fortunes. En même temps, les politiques économiques et financières - dont en particulier celles mises au point par le nouveau ministre de l’économie Emmanuel Macron - n’ont fait qu’aggraver le recul du pouvoir politique devant les diktats du grand capital… ce qui eut pour conséquence logique de disperser la majorité qui mit François Hollande à la tête de la république française et de faire descendre la cote de sa popularité à quelques dix-sept pour cent, selon les derniers sondages.
L’exemple le plus flagrant de cette politique de droite réside, sans aucun doute, dans ce qui se passe actuellement autour du projet sur la loi du travail présenté, le 8 mars passé, par la ministre Myriam El Khomri. Ce projet fit beaucoup de remous tant au sein du gouvernement que, surtout, dans les milieux politiques de gauche et les syndicats. Des centaines d’amendements furent proposées sur ses différents articles avant que les centrales syndicales, la CGT en premier lieu, ne décidèrent de s’y opposer, appelant à des grèves et des manifestations dont l’ampleur dépassa tous les mouvements de masses organisés durant les trente ans passés. Face à de telles protestations, le premier ministre Manuel Valls opposa tantôt la répression et tantôt la menace de recourir à l’article 49-3 de la Constitution qui dispose que « Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. ».
Pourquoi cette insistance à vouloir faire passer le projet El Khomri sans prendre en considération les propositions d’amendements présentées par les syndicats ?
La réponse n’a rien d’ambigu. De par ses directives et nombre de ses articles, ce projet donne au grand capital une liberté de manœuvre très claire. Une liberté qui permet au patronat d’imposer ses conditions et de diriger les entreprises comme bon leur semble, sans prendre en considération ni le rôle des syndicats ni celui de l’Etat quand il s’agit d’augmenter leurs gains… Tout cela sous le titre de « la flexibilité » qui donnerait, peut-être, aux industries françaises la possibilité d’« être plus compétitives » ?!
De l’article 2… aux licenciements
Entrons dans les détails du projet de loi et commençons par « l’article 2 » qui constitue le problème majeur. Cet article prévoit qu'un accord négocié au sein de l'entreprise (accord d'entreprise) peut remplacer les dispositions d'un accord de branche, même si ces dispositions sont plus favorables pour les salariés. En d’autres termes, chaque patron d’entreprise pourra imposer ses conditions sur tout : heures de travail, salaires, heures supplémentaires, congés annuels et autres, faisant ainsi perdre aux syndicats leur rôle dans la défense des salariés, d’une part, mais aussi dans la précision des conditions du travail dans les branches de la production ; ce qui enlèverait les derniers obstacles placés devant le capital dans sa recherche du plus grand taux de profit.
Mais ce n’est pas tout. En effet, et en plus de l’article 2, d’autres facilités sont accordées au patronat, surtout en ce qui concerne les conditions de licenciement, telle la suppression des « conditions économiques » le permettant, ou encore celle du rôle et des prérogatives des prud’hommes dans la fixation des indemnités de fin de service, surtout s’il s’agit de licenciement arbitraire/ A tout cela, n’oublions pas d’ajouter la suppression de la visite médicale obligatoire et la diminution des conditions se rapportant à la santé et à la sécurité…
Une loi au service des patrons
Et si nous ajoutons à la loi El Khomri les tentatives déjà faites afin de changer la loi sur les retraites et contre la sécurité sociale, nous pouvons dire que les différents gouvernements, tant de gauche que de droite, qui se sont succédés durant les vingt dernières années œuvrent, tous, dans le même sens ; leur slogan est « travailler plus, toucher moins, se reposer moins ».
Le second gouvernement, « socialiste », de Manuel Valls ne déroge pas à cette règle de la prétendue flexibilité, même si la société française est, aujourd’hui, placée sous haute tension et vit dans l’insécurité créée par un gouvernement qui lui impose une loi dont la finalité consiste à porter atteinte au mouvement syndical militant et à faire des concessions gratuites aux grands capitalistes tant sur le plan de la direction de l’économie nationale que sur celui de la définition des nouveaux objectifs de la politique sociale… faits auxquels les gouvernements de la droite libérale durant le mandat de Nicolas Sarkozy n’ont pas osé s’attaquer, comme ils n’ont pas osé s’attaquer au droit de grève que les autorités violent sans vergogne. Enfin, il nous faut dire que cette loi constitue un dangereux précédent, puisqu’elle ne tient pas compte de la situation des PME et TPE ni des droits des millions de salariés qu’elles regroupent.
Certains milieux politiques et médiatiques disent que les politiques du gouvernement viennent du fait que le premier ministre tente de préparer la voie qui lui permette d’accéder en 2022 à la présidence de la république et que cette voie passe par la MEDEF qui pourrait tout aussi bien assurer la réélection de François Hollande en 2017 et la sienne propre cinq ans après. D’où la nécessité de retirer à la gauche syndicaliste une des cartes maitresses qu’elle possède, même si cela va augmenter la précarité et le chômage et profiter tout aussi bien aux groupes terroristes qu’à l’extrême droite dont le danger grandit à vue d’œil, surtout à la suite des dernières élections municipales et régionales qui ont montré le succès remporté par le Front national parmi les jeunes marginalisés.
Cette course à la présidence est, selon toute évidence, la raison majeure du refus du gouvernement de céder devant le mouvement social, malgré les dizaines de manifestations à Paris et dans les autres villes françaises et aussi les journées nationales de grèves générales auxquelles participèrent ouvriers, cadres et enseignants ; et, tandis que Myriam El Khomri se montre de plus en plus intransigeante face aux réclamations des représentants des travailleurs, le mutisme du président français est très expressif ainsi que les positions prises par les centrales syndicales affiliées au PS qui arguent que le progrès social se basent sur le progrès économique et que ce dernier exige aujourd’hui une grande flexibilité afin de faire de l’économie française une économie compétitive !!!
Tout cela nous mène à dire que les politiques de la social-démocratie ont déposé le bilan en France, tout comme elles l’avaient fait dans d’autres pays européens où des partis socialistes ont fait le jeu de la bourgeoisie en faisant face aux revendications et aux aspirations des forces ouvrières et syndicales. Ces politiques ont abouti, contrairement à ce que leurs instigateurs attendaient, à ce que les forces syndicales radicales, telle la CGT, reviennent sur l’avant-scène de la lutte pour le changement avec un programme et des tâches à court terme, sur le plan des lois, mais aussi un programme stratégique dans le domaine du dépassement du système capitaliste afin de sortir leur pays de la crise complexe vécue depuis 2008.
Il est vrai que les forces du Front de la gauche en France ne dépassent pas actuellement la barre de 12 pour cent (enregistrés lors des présidentielles de 2012 par le candidat Jean-Luc Mélenchon), mais ce pourcentage n’est pas statique ; il peut augmenter si l’on prend en considération la nécessité d’œuvrer rapidement dans le sens de l’unité de la gauche et de la classe ouvrière représentée par les forces syndicales qui mènent aujourd’hui la lutte, sur les bases d’un programme qui ne se contenterait pas des slogan d’alternance politique et de quelques progrès sociaux et sociétaux, mais qui reviendrait aux traditions révolutionnaires, à l’égalité au lieu et place du slogan de la justice sociale qui se contente de diminuer quelque peu les grandes différences entre riches et pauvres au lieu d’appeler à les éliminer complètement. Et, si certains des slogans des soulèvements arabes ont fleuri dans des mouvements de protestation au sein même des pays, tels les Etats-Unis (« Occupy Wall Street », par exemple), où règnent les oligarchies financières en dictateurs, et si, malgré et contre tout, les mouvements ouvriers et de gauche se sont propagés dans toute l’Europe durant les dix dernières années, cela veut dire que les idées révolutionnaires n’ont pas perdu de leur importance et que les slogans politiques doivent être révisés rapidement afin de regrouper dans le combat pour le changement toutes celles et tous ceux qui, à commencer par la majorité de la classe moyenne, sont lésés par les politiques sociale-démocrates.
Article paru dans le bimensuel « An Nidaa », le 24 juin 2016
source: http://www.solidnet.org/lebanon-lebanese-communist-party/lebanese-cp-quelles-conditions-pour-le-changement-les-lecons-de-la-bataille-de-la-loi-sur-le-travail-en-france-fr-ar