Auteur: Dilbert Reyes Rodriguez, | informacion@granma.cu
Auteur: envoyé spécial | informacion@granma.cu
27 mai 2016 17:05:02
SAN CARLOS DE RIO NEGRO, Venezuela. — Le vol jusqu’à ce village, le plus éloigné de la jungle amazonienne, avait été bien trop calme jusqu’à la peur bleue que nous réserva un atterrissage mouvementé : l’avion qui se redresse à l’instant où il va toucher la piste et tourne subitement sur un côté fait se dresser les cheveux sur la tête du néophyte que je suis et l’expose aux rires complices des pilotes.
« Du calme, Cubain, c’est seulement une manœuvre d’entraînement pour reconnaître la piste »,me lance l’un deux, tandis que l’avion reprend sa route et se pose en douceur.
« Et bien alors, prévenez-nous au moins ! », est la seule réponse que l’on entend.
Arrivés à bon port, nous sommes émus par l’accueil chaleureux que réservent à ce petit groupe de jeunes gens en blouse blanche tous ceux qui viennent à leur rencontre. Accolades et poignées de main ne manquent pas, car en dépit de ne pas savoir très bien qui ils saluent, ils sont de la même île et ils portent encore l’odeur de la ville la plus proche.
Ils apportent trois fauteuils roulants, bien qu’il n’y ait pas de malades dans l’avion : « C’est pour notre médecine, pour nos coopérants », précise le radiologue d’Artemisa, Yasmani Peñalver, et une fois au pied de la carlingue, il commence à décharger les paquets de riz, de lait en poudre, de pâtes et de poulet qui manquaient depuis plusieurs jours déjà.
« Je vous l’ai dit, notre médecine… », dit-il en plaisantant et il s’éloigne, satisfait, aidé par un quartette
« multidisciplinaire » de jeunes femmes enthousiastes : la thérapeute de Pinar del Rio, Graciela Ferrer ; la podologue de Villa Clara, Yuniet Velazquez, la laborantine de Ciego de Avila, Daimara Campaña, et Mariela Gonzalez, pharmacienne de Mayabeque.
San Carlos de Rio Grande ressemble à une maquette, une sorte de ville en miniature, qui a l’air d’avoir été construite ailleurs puis d’avoir été apportée jusqu’ici, au cœur de la jungle, sur la rive vénézuélienne de ce large affluent principal de l’Amazone.
Le village a peu de rues, toutes bétonnées et disposées dans un ordre symétrique, avec des dimensions standard, des trottoirs, des jardins devant les maisons au toit de béton cellulaire. On y trouve des écoles, des commerces, certains bâtiments publics et, étant donné la taille de ce village côtier, nous sommes surpris par les dimensions du stade, mitoyen de la piste d’atterrissage.
C’est une localité sans arrivée par la terre, où les distances sont relativement courtes, mais comme l’utilisation de la moto fait partie de la culture vénézuélienne, même pour se déplacer de 100m, on en voit partout conduites par des femmes, des hommes et même des adolescents.
« C’est pour cela que tu tombes si souvent malade, ça te coûte même de marcher », dit en plaisantant l’un des médecins à un de ses voisins qui a freiné sec devant lui. « Ensuite, vous vous plaignez d’être obèses ou diabétiques. Dis-moi, et ta fille, comment ça va la grippe ? Ramène-la à la consultation cet après-midi. »
Au coin du premier pâté de maison se trouve le CDI (Centre de diagnostic intégral), le principal bâtiment public du village, et le plus fréquenté par la population. Ses portes sont ouvertes, bien qu’il n’y ait personne à l’intérieur car tout le monde a couru vers la piste en entendant le vrombissement de l’avion.
« Pour les habitants, c’est comme une seconde maison où ils accourent dès qu’ils ont le moindre bobo. Mais c’est aussi la nôtre, d’abord parce que c’est ici que nous vivons. Notre résidence n’est pas encore prête et au village cela fait des semaines qu’il n’y a pas d’électricité par manque de combustible, qui arrive sur des barges par le fleuve », explique Juan José, le jeune docteur, chef de la brigade cubaine.
« Ici au moins, nous profitons de la moitié de la nuit grâce au groupe électrogène de la clinique pour recharger nos téléphones portables, rafraîchir les salles de consultation où nous dormons, pomper de l’eau, et faire tout ce que nous ne pouvons pas faire par manque de courant. Nous faisons en sorte que cela coïncide avec l’heure où ils mettent en marche le standard téléphonique, parce qu’en dehors de ce moment, il n’y a pas de couverture pour appeler. »
L’accueil a été l’occasion de faire un bon repas qui a amélioré le régime restreint de ces derniers jours, et tandis que chacun cuisine le plat qui lui plaît, un point éloigné, du nom de Maroa, sur une carte de la zone, au-delà de la frontière nord-ouest de Rio Negro, attire l’attention du visiteur.
Dans cinq des six municipalités de la jungle, on pourrait aller en avion, mais à Maroa, à cause des conditions sablonneuses de la piste et d’un accident récent, les vols ont été supprimés, si bien que les médecins qui y sont en poste et les habitants doivent descendre le fleuve en barque pendant quatre ou cinq heures pour se rendre jusqu’à San Carlos.
À vol d’oiseau, Maroa est moins éloignée d’Ayacucho que San Carlos, mais les conditions actuelles d’accès, où il faut naviguer vers le sud pour prendre un avion, ensuite remonter vers le nord à la recherche de la ville, en fait en ce moment le lieu le plus isolé. Y aller serait un immense défi. Et pourquoi pas ? Là-bas aussi il y a des Cubains.
« À Maroa, on n’y va pas pour en revenir immédiatement. On revient quand on peut », s’est exclamé le jeune homme à l’accent bien cubain, vêtu au style rappeur, portant jeans et casquette sur le côté et une veste de survêtement à « Je suis venu de là-bas pensant que nos produits alimentaires arrivaient dans l’avion, mais non… Je repars dans un moment avec quelques médicaments. Vous êtes journalistes ? Si ça vous dit, on part dans deux heures. »
Qui, arrivé jusqu’ici, pourrait bien refuser un tel défi ? De toutes façons, il me faudra revenir par la route de Rio Negro et ces jeunes médecins seront encore ici avec leurs histoires à raconter, alors que celles de Marao, je ne les entendrai jamais si je perdais cette occasion…
« On part quand tu veux ! »
source: http://fr.granma.cu/mundo/2016-05-27/un-instant-a-rio-negro