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30 Décembre 2015
Marc Vandepitte
Ces derniers jours, 8 000 Cubains ont échoué à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua. Ces Cubains tentent de pénétrer aux États-Unis via ces pays. Ils sont le jouet d’une politique cynique, voire criminelle. C’est ce que nous dévoile un spécialiste de Cuba, Marc Vandepitte.
1. Que les plus pauvres émigrent vers des zones plus riches, c’est tout à fait normal. A Puerto Rico, tout près de Cuba, plus de 40 % de la population totale est partie vers les États-Unis. Chaque année, un quart de million de Centraméricains traversent illégalement la frontière entre le Mexique et les USA.1 Après la crise financière de 2008, seize fois plus d’Irlandais que de Cubains ont quitté leur pays.2 Cuba, le pays qui a connu le plus long blocus de l’histoire mondiale, ne constitue pas une exception à cet égard.
2. Pour les Cubains il existe une raison annexe. Grâce au très haut niveau de l’enseignement, le Cubain moyen, du point de vue scolarité, dépasse très nettement la grande majorité des latinos, qui sont souvent illettrés. En guise de comparaison : à Cuba il y moitié plus d’étudiants dans le supérieur qu’en Belgique (à population équivalente). Les migrants cubains sont dès lors économiquement intéressants et ils ont donc de meilleures perspectives que leurs collègues du reste du continent. A moins de 200 km de chez eux, les Cubains peuvent gagner dix fois plus. Imaginons que ce soit le cas pour des médecins, infirmiers, ingénieurs, enseignants belges… Nous verrions se vider les hôpitaux, les entreprises et les écoles. Déjà maintenant, nous devons employer dans nos cliniques de la main d’œuvre médicale de Roumanie et du Liban.3
3. La migration de Cuba vers les USA se fait dans le contexte d’une politique cynique à Washington. Les Cubains sont les seuls au monde qui reçoivent automatiquement un permis de séjour et une assistance aux État-Unis. Les autres latinos qui sont stoppés à la frontière sont déportés. Les Cubains, eux, sont reçus à bras ouverts et reçoivent un permis de travail. Cette politique migratoire des plus cyniques a été instaurée par Washington après la victoire de la révolution en 1959 pour accueillir les criminels de guerre et les fonctionnaires corrompus de l’ancien régime, mais aussi pour favoriser une fuite des cerveaux de Cuba.4 Le « Cuban Adjustment Act » est toujours d’application aujourd’hui, malgré la prétendue normalisation entre les deux pays. Lorsque des sportifs de haut niveau, des universitaires ou des musiciens célèbres de Cuba sont à l’étranger, ils se voient proposer des contrats financièrement très avantageux pour quitter leur pays.
4. Les États-Unis ciblent surtout les médecins cubains. Dans le cadre de programmes internationalistes, plus de 30 000 docteurs cubains travaillent dans 66 pays différents. La Maison blanche fait tout pour attirer le plus possible de ces médecins aux États-Unis. C’est ce qu’elle fait depuis 2006 avec son « Parole Program », lancé par Bush et maintenu par Obama.5
5. Curieusement, le grand appel du pied étatsunien s’accompagne d’un refus d’émettre un visa. Il existe depuis 1984 un accord entre les deux pays où Washington promet d’accorder 20 000 visas par an (surtout dans le cadre de la réunification familiale) et où La Havane s’engage à ne pas autoriser de « fuites en bateau ». Mais, dans la pratique, seuls 3 500 visas sont accordés chaque année. Autrement dit, les Cubains sont appâtés par un traitement préférentiel mais, en même temps, on leur coupe la voie légale. Ces 3 500 visas sont distribués par voie de loterie6, au sens propre. C’est le hasard et non la motivation humanitaire qui détermine si un Cubain peut aller retrouver sa famille…
6. D’un côté, les USA cherchent à attirer les Cubains, de l’autre on les empêche d’y arriver par voie légale. Ce genre de politique stimule la migration illégale et le trafic des êtres humains. Cette politique criminelle incite aussi des délinquants cubains à des actes téméraires et criminels pour quitter l’île. A leur arrivée en Floride, pirates de l’air et de l’eau peuvent compter sur l’impunité et ils sont quelquefois accueillis en héros.7
7. L’an dernier, les relations diplomatiques ont été rétablies entre Cuba et les USA. Fin novembre avaient lieu des pourparlers entre les deux pays pour discuter des accords de migration.8 Les Cubains qui veulent quitter l’île craignent que dans un avenir proche le traitement préférentiel à l’égard des Cubains ne disparaisse. C’est pour cette raison que quelques milliers de Cubains se sont hâtés de vouloir entrer aux États-Unis. Mais le Nicaragua a décidé de ne plus leur accorder le droit de passage. Voilà pourquoi quelques milliers de Cubains attendent à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua.9
8. Depuis quelques années les Cubains peuvent voyager librement aux États-Unis. L’inverse n’est pas vrai. Les habitants du « land of the free » risquent 25 000 dollars américains d’amende s’ils visitent Cuba.
9. Chaque année, des milliers d’émigrants cubains reviennent définitivement dans leur patrie. Des dizaines de milliers aimeraient en faire autant.10 Le rêve américain, surtout après la crise de 2008, vire souvent au cauchemar pour les émigrants cubains. Dans leur situation, beaucoup, même en Europe 11 se languissent de l’excellent système de sécurité sociale qu’ils ont laissé derrière eux. Même de prétendus « dissidents politiques » envisagent de retourner dans l’île.12Jamais la presse généraliste n’en pipera mot.
1. Financial Times, Life & Arts, 2-3 november 2013, p. 11; http://www.ft.com/intl/cms/s/2/d19110f6-40ac-11e3-8775-00144feabdc0.html#axzz2kH9m6aJO • 2. https://groups.yahoo.com/neo/groups/CubaNews/conversations/topics/132954 • 3. http://www.mloz.be/files/22022012-hf9-nl.pdf, p. 8. • 4. http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-reforme-de-la-politique-125189 • 5. Cuban Medical Professional Parole Program; http://www.state.gov/p/wha/rls/fs/2009/115414.htm • 6. http://www.cubaencuentro.com/cuba/noticias/hasta-3-500-cubanos-podrian-ganar-la-loteria-de-visas-de-eeuu-320379 • 7. Ce fut le cas en 2003. Les États-Unis voulaient provoquer une crise migratoire. Dans un premier détournement d’avion les preneurs d’otages ont été libérés à leur arrivée en Floride. C’était une invitation à plus d’otages. Entre le 19 mars et le 10 avril, il y avait plus de 29 détournements ou tentatives de détournements. • (8) http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2015/12/250198.htm. • 9. http://www.dw.com/en/costa-rica-deports-cubans-amid-transit-crisis/a-18943686. • 10. http://cafefuerte.com/csociedad/2282-cuba-mil-emigrados-retornan-cada-ano-para-quedarse-en-el-pais/. En 2013 il y en a eu 3.500. http://www.cubaenmiami.com/3500-cubanos-emigrados-han-regresado-a-vivir-a-cuba-en-el-2013/ • 11.Voir par exemple le récit de Gilberto Martínez en Espagne http://ccaa.elpais.com/ccaa/2013/05/07/valencia/1367953205_577370.html • 12. Voir par exemple le sort des prisonniers cubains libérés pendant la période 2010-2011 et qui ont trouvé refuge en Espagne. http://www.legrandsoir.info/la-nouvelle-vie-des-opposants-cubains-en-espagne.html.
Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action.
source:http://solidaire.org/articles/neuf-choses-savoir-sur-les-refugies-cubains-en-amerique-centrale