Auteur: Dilbert Reyes Rodríguez | dilbert@granma.cu
4 décembre 2015 16:12:51
Bien qu’il soit conseiller, Emilio ne résiste pas à la tentation du contact direct avec les élèves. Photo: Dilbert Reyes Rodríguez
EL PALMAR, Amazonie, Venezuela.— Tout dans la forêt vierge n’est pas qu’humidité ou terre fertile. Tout près des grands fleuves se trouvent aussi des zones arides qui rendent la vie des autochtones plus difficile pour deux raisons : d’une part le labourage du sol et d’autre part l’accès à l’enseignement.
Dans le sud du Venezuela, là où l’Orénoque est élargi par les eaux du fleuve Meta et s’insinue le sommet trois États « morochos » et de la Colombie, se trouve l’une des entrées de la grande forêt amazonienne, la plus étendue du monde.
Sur les premières lieues du chemin qui, après la traversée en barge, se poursuit jusqu’à Puerto Ayacucho — le chef-lieu de l’État le plus méridional du pays – le paysage n’est pas encore cette jungle épaisse et infranchissable que l’on peut voir dans les films, mais un bel ensemble de montagnes isolées et arrondies, à la roche pelée, couronnée parfois par d’autres plus petites aux formes curieuses.
Elles semblent avoir été placées là à propos, comme pour donner de la texture à la colline, posées entre les arbustes ou les monts parsemés de grands arbres où on peut se trouver face à face avec un anaconda, un ours de la pampa ou un quelconque félin chasseur, mais où vivent également des hommes.
« La terre ici est très chaude, mauvaise pour la culture, mais depuis de nombreuses années, elle nous appartient ; c’est la terre des familles jivis et d’amis comme les Cubains », nous dit Edilberto, un membre de la communauté indigène.
L’ÉCOLE SOUS LE MORICHE
Le temple de la communauté est en ce moment la salle de classe où sont donnés les cours d’alphabétisation : un simple échafaudage de planches et de feuilles de moriche (type de palmier) où officie le professeur, avec un tableau et pour élèves une douzaine d’adultes du village indigène El Palmar.
Ils commencent à 16 heures, tous les jours pendant trois heures, après une longue journée pendant laquelle ils se sont affairés à la culture du manioc ou de l’ananas – la seule chose qui pousse dans la zone –, à préparer du cassave (galette de manioc), avec de la catara (sauce piquante traditionnelle), ou à tisser un assortiment de sacs et chapeaux en fibres de moriche qu’ils iront vendre à la ville.
Sous les auspices de la Mission Robinson, 80 % des membres de la tribu, répartis en six groupes, apprennent à lire et à écrire avec la méthode cubaine Yo si puedo, et même à mieux parler l’Espagnol, car les Guahibos (ethnonyme de l’ethnie jivi) ont leur propre dialecte.
L'enseignant cubain Emilio Barban supervise une classe d'alphabétisation dans une communauté indigène d'Amazonie vénézuélienne. Photo: Dilbert Reyes Rodríguez
« Ils ont besoin de l’Espagnol pour communiquer en ville, faire des démarches, mieux s’insérer dans la société, et ils l’assument avec un immense enthousiasme, bien que cela rende sans doute le processus d’enseignement un peu plus long et difficile », explique Dairi Castillo, universitaire vénézuélien responsable de la mission.
Mais ils apprennent bien et montrent un grand plaisir. On le voit à l’attention, l’intérêt et la satisfaction qui se lisent sur leur visage. Les cours se déroulent dans une ambiance détendue, parsemée de blagues dans les deux langues et de chansons typiques de l’ethnie. « À mon âge, je ne pensais pas avoir cette chance. Je suis une grand-mère qui ne sait pas lire, ou plutôt je ne savais pas lire, mais j’ai déjà commencé. Le mieux, c’est d’avoir l’école tout près de la maison, à un horaire qui ne dérange pas la famille, le travail aux champs, et il n’y a rien à payer, venir et c’est tout », signale Luz Marina, assise au dernier rang.
« Je n’ai plus cette sensation de gêne, parce qu’avec l’apprentissage on devient plus courageux. Dès que j’aurai mon diplôme, je ferai partie des enseignants », déclare avec enthousiasme Mireya Rodriguez, l’une des plus avancées.
Un professeur prend en charge le groupe d’adultes. Il est plus jeune qu’eux, si bien que le groupe regarde avec fierté leur parent, presque un enfant, qui leur apprend à lire. En effet, Alexander est un jivi de El Palmar, et issu, en outre, des missions sociales où il est devenu instituteur. « J’ai d’abord étudié à la Mission Robinson, ensuite le baccalauréat à la Mission Ribas, et maintenant je suis un facilitateur formé par des conseillers cubains », affirme le jeune homme, en signalant Emilio, le pédagogue cubain, qui précisément aujourd’hui est chargé de superviser la classe et profite de l’occasion pour mettre en place un exercice datant de ses années passées face à une salle de classe.
UN CUBAIN DANS LA TRIBU
Arrivé depuis peu de temps, Emilio Barban, originaire de Manzanillo, connaît du Venezuela ce qu’il a appris des gens humbles d’Amazonie, aussi bien de ceux qui assistent à ses ateliers méthodologiques pour aller ensuite alphabétiser dans leur communauté, que des indigènes qui assistent aux cours au sein de la tribu elle-même. « De l’atelier, le plus émouvant, c’est le défi d’enseigner la même chose en 23 langues différentes, y compris trois colombiennes. Il y a un indigène dans chaque ethnie qui traduit, mais on apprend toujours quelque chose.
« Cependant, ce que je préfère, ce sont les visites en tant que conseiller pédagogique dans ces hameaux aborigènes. C’est là où l’on ressent vraiment que l’on est en terre magique, comme ils disent. Ils survivent à la dureté de la région, mais ils l’adorent, ils la protègent et s’accrochent à elle. Leur générosité et leur sens du respect sont admirables. Pour eux, les Cubains ne sont pas des enseignants, mais des médecins. Ils nous appellent même docteurs. Peut-être parce qu’ils ressentent que l’éducation est aussi une sorte de soin. »
« C’est définitivement un lieu où l’on vient une fois et où l’on veut revenir, pour la fidélité et la chaleur qu’ils nous offrent. Ce n’est pas notre culture, mais on se l‘approprie très vite, poussé par leur énorme désir d’apprendre.
« Je n’avais trouvé des histoires de forêt vierge que dans les livres et les films, mais jamais je n’aurais imaginé que je la connaîtrais de cette manière, en rendant service à ses gens et en leur étant utile, grâce à ma profession », conclut Emilio.
Il termine sa journée la nuit tombante avec la même gratitude avec laquelle il a démarré sa classe, quand une vague de moustiques endémiques lui rappelle qu’il est dans un lieu étranger.
Quant à Edilberto, il ne craint pas les piqûres. Il vit ici depuis 58 ans, et son âge incite le journaliste à lui poser une question à laquelle il répond dans son dialecte : « Cae epa ata apocuene rrowinae woja yapü toeneja ».
Comme dans ses ateliers multilingues, Emilio et le jeune jivi le traduisent.
La phrase de conclusion de l’indigène est la dernière leçon de la journée, et la démonstration de ce que signifie la mission éducative que Cuba aide à promouvoir au Venezuela : « Non, il n’est jamais tard pour apprendre. »
source: http://fr.granma.cu/mundo/2015-12-04/il-nest-jamais-trop-tard-pour-apprendre