Adresse de Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français aux organisateurs de la Commémoration du 40e anniversaire de l'indépendance de l'Union des Comores à Moroni le 12 novembre 2015
Au président du Comité Mahorais
Aux responsables politiques Comoriens et des organisations de la société civile
Cher-e-s ami-e-s,
Mesdames, Messieurs,
Nous célébrons en ce mois de novembre 2015 le 40e anniversaire de l'indépendance des Comores.
Fait majeur du XXe siècle, les indépendances ont constitué une avancée dans la longue conquête de la décolonisation. Mais pour l’État des Comores, celle-ci reste incomplète. Car les autorités de la France ont jeté leur dévolu sur l'île comorienne de Mayotte, considérée comme stratégique dans l'océan indien.
La volonté coloniale de garder la main sur Mayotte s'est appuyée sur une stratégie de division. D'un côté, les Comores ont été déstabilisées, déstructurées par l'intermédiaire de multiples coups d’État orchestrés par des mercenaires agissant souvent à la solde de Paris. De l'autre, la France a assuré une stabilité d'apparence à Mayotte et un développement asymétrique, bénéficiant de nombreux financements. Cela a constitué un contexte favorable pour l'organisation de référendums illégaux au regard du droit international, condamnés par l'ensemble des pays africains. Les consultations ont été organisées à l'échelle du pays mais la France a entrepris d'analyser les résultats île par île, afin de justifier la « re-colonisation » du territoire visé.
Le droit international est pourtant sans ambiguïté. La Résolution 1514, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1960 fixe l’intangibilité des frontières coloniales : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ». Le droit international précise par ailleurs que le parlement du pays colonisateur n'est absolument pas fondé pour décréter l'indépendance d'un territoire. L'ONU « condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus » ainsi que « toutes les autres consultations qui pourraient être organisées ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France. » C'est la référence pour le référendum au cours duquel la population de Mayotte a approuvé le statut de Département d'Outre-Mer le 29 mars 2009.
Nous sommes aujourd'hui placés devant le fait accompli, avec une somme de difficultés non résolues. L'appartenance de Mayotte à la France a été inscrite dans la Constitution française par la loi du 28 mars 2003. Cela s'oppose à toutes les résolutions des Nations Unies sur ce sujet et amène une situation ubuesque où la Constitution française viole le droit international.
La France maintient la pression afin de tenter de soumettre les autorités comoriennes pour qu'elles renoncent à l'intégrité des Comores. Mais qui peut envisager ce scénario impossible ?
Il faudra pourtant trouver une issue.
L’écart de développement travaillé par la France pour creuser un fossé entre Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores est une bombe à retardement. Le fait que Mayotte ait accédé au statut européen de région ultrapériphérique (RUP), qui lui permet de bénéficier de fonds structurels de l'Union européenne pour son développement économique, va dans le même sens et creuse toujours davantage les inégalités qui ne pourront se résorber que si l'ensemble de l'archipel se développe de manière équilibrée.
Pour asseoir cette politique, une barrière a été dressée autour de Mayotte avec l'instauration du « visa Balladur » en 1995, mettant fin à la libre circulation des comoriens. Les liens sociaux et familiaux ont été entravés. Pour atteindre la forteresse Mayotte située à 70 km d'Anjouan, les habitants des îles voisines ont recours aux fameux kwassas, barques de fortune facilement renversables lorsqu'elles sont surchargées... Cette mer est devenue le plus grand cimetière marin du monde. Les estimations font état de plus de 10 000 morts. C'est un véritable crime contre l'humanité, conséquence directe de choix politiques.
On se souvient que la mort du petit Aylan, jeune bambin de trois ans échoué sur une plage de la méditerranée avait choqué le monde entier. Le président François Hollande et le premier ministre français avaient fait part de leur émotion. Il semble que l'indignation soit sélective car le mécanisme du visa Balladur qui est la cause de l'hécatombe en mer d'Anjouan est toujours en place. Le crime se poursuit. Le gouvernement français tente dorénavant d'externaliser le contrôle des frontières à l’État comorien.
Cette politique n'est pas conduite au nom du peuple français. Elle est menée sans lui, ou plutôt contre lui. Elle attaque les valeurs les plus fondamentales de notre République, de liberté, d'égalité, de fraternité, de respect des droits humains. Il y a une véritable chape de plomb qui empêche les citoyens d'être informés de la situation aux Comores. Une censure générale où rien ne filtre, à part quelques articles de presse. Je dois à ce niveau saluer le travail remarquable d'associations et d'organisations politiques et syndicales qui mènent de justes combats, avec le peuple comorien et sa diaspora. Ces forces tentent de sensibiliser, d'alerter sur le « visa Balladur », ou sur les conséquences par exemple de pillages économiques par des multinationales et des pollutions qu'ils entraînent.
Pour l'avenir de l'archipel, il nous faut trouver des solutions, y travailler ensemble. Cela doit passer par des phases de négociation. Ce n'est pas à l'Union des Comores de renoncer. C'est la France qui doit changer de paradigme et écouter la voix des peuples dans la région. Il est illusoire de penser que Mayotte puisse à terme se construire dans un cadre de développement asymétrique. La force, la répression, la politique du chiffre avec les dizaines de milliers d'expulsions annuelles ne sont en rien une réponse au drame de la mer d'Anjouan. A Mayotte, les inégalités, les drames sociaux, la violence en hausse constituent un lent poison.
Personne n'a intérêt à en rester au statut quo.
Pourtant, le gouvernement français alléché par les découvertes de gisements de gaz dans la Zone Économique Exclusive comorienne, et plus largement par les « potentialités » de l’Océan Indien, s'enfonce dans une logique de domination autoritaire. En faisant défiler en juillet dernier les athlètes mahorais sous la bannière du drapeau français, la France n'a pas hésité à violer la convention internationale de la Charte des Jeux des îles de l'Océan Indien. Ce « passage en force » est assumé. Mais il n'est pas sûr qu'à la longue ce comportement puisse tenir, tant il risque de cliver et de développer un sentiment de rejet.
Il est des régions dans le monde où l'hégémonisme aveugle a fini par se retourner contre ses auteurs et provoquer des drames incommensurables. C'est ce scénario qu'il conviendrait d'éviter.
Paradoxalement, la réponse aux défis pour les Comores passe par un avenir commun entre Mayotte et l'archipel. Elle nécessite la construction d’une véritable politique de codéveloppement dans la zone Océan Indien, avec l’ensemble des parties concernées.
Mettre un terme au drame engendré par le « visa Balladur » passe par son abolition, bien évidemment. Cela passe également par un changement radical de la politique menée par la France et l'Union européenne à l'égard des Comores afin de créer enfin les conditions d'un développement valorisant ses atouts. Il s'agit d'une démarche qui ouvre un nouvel espoir. Elle doit contribuer aux Comores à la réponse aux besoins urgents dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'accès à l'eau, à l’énergie... Et initier des relations d'égal à égal avec les pays de l'océan Indien, dans l'intérêt de tous.
Dans ce cadre je veux vous transmettre le soutien du Parti communiste français, de ses parlementaires, de ses élus et militants qui, avec vous, poursuivent le combat progressiste contre le néocolonialisme et pour tisser des liens de lutte et de solidarité.
Pierre Laurent
Paris, le 11 novembre 2015
source: facebook