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André Chassaigne : "Une partie du CICE doit être mise au service de l’accueil des réfugiés"

jeudi 24 septembre 2015


Intervention d’André Chassaigne, au nom des député-e-s Front de Gauche, lors du débat sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe le 16 septembre dernier à l’Assemblée nationale :

« Depuis le début du conflit syrien en 2011, on assiste à une hausse majeure du nombre de personnes forcées à fuir. La situation s’est dégradée sous nos yeux, mois après mois, année après année. L’année 2014 a constitué le record du nombre de morts en Méditerranée avec près de 3 500 personnes noyées.

Depuis le début de l’année, la tragédie continue : sur les 365 000 personnes ayant traversé la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes, au moins 2 700 sont mortes lors du périple.

La situation est dramatique. Désormais, le conflit en Syrie entraîne le plus important déplacement de populations jamais enregistré à travers le monde. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dénombre ainsi plus de 4 millions de réfugiés syriens et 7,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur même de la Syrie.

Chacun doit bien avoir à l’esprit que les enfants, les femmes et les hommes qui échouent sur nos plages ou se heurtent aux barbelés quittent leur pays parce qu’ils n’ont pas le choix. Nous non plus, nous n’avons pas le choix. Il est de notre devoir de les aider. Il est de notre devoir de les accueillir ! Il est du devoir de la France de se montrer fidèle à sa tradition de terre d’asile en Europe et de prendre toute sa part dans l’accueil des réfugiés.

C’est cette volonté-là que nous devons avoir. Elle exige, dans ce qu’Aimé Césaire appelait le « combat de l’ombre et de la lumière » d’échapper à « la malédiction d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective », à ce qu’Albert Camus décrivait dans L’homme révolté comme une « autointoxication, la sécrétion en vase clos d’une impuissance prolongée ».

C’est une exigence morale au regard de l’Histoire et des valeurs de notre République. Mais c’est aussi une obligation juridique au regard du droit international. Rappelons d’abord, contrairement aux affirmations simplistes assénées par ces baillonneurs de la pensée que sont le Front national et une partie de la droite, que l’Europe et la France ne sont pas les premières terres d’exil des réfugiés :…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Absolument !

M. André Chassaigne. …la quasi-totalité des migrations actuelles ne se fait pas du Sud vers le Nord, mais du Sud vers le Sud !

Comme le souligne le dernier rapport du HCR, la répartition mondiale des réfugiés demeure fortement biaisée. Près de 90 % des réfugiés se trouvent aujourd’hui dans des régions et des pays considérés comme économiquement moins développés. Le Proche-Orient et Moyen-Orient concentrent à eux seuls un tiers des réfugiés dans le monde, avec 1,6 million de réfugiés en Turquie et 1,2 million au Liban.

Dans ce contexte exceptionnel, la demande d’asile en France reste stable. Avec 62 800 demandeurs d’asile en 2014, notre pays se place certes à la quatrième place du classement européen, derrière l’Allemagne, la Suède et l’Italie. Toutefois, rapportée à la population de chaque pays, la France ne se situe qu’au milieu du classement, avec seulement un demandeur d’asile pour 1 000 habitants. Et la France a été la seule à enregistrer en 2014 une baisse de sa demande d’asile de 5 %.

La France n’est plus une terre d’accueil telle qu’elle l’était. Elle est devenue essentiellement un pays de transit pour les réfugiés. Comparée à l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni, elle a perdu son pouvoir d’attraction, pour de multiples raisons : l’accès à un logement y est jugé trop long ; les démarches administratives sont complexes. Notre image est aussi ternie par les propos de certains élus de la République au cœur déraciné, qui défendent une conception sélective de l’asile sur une base confessionnelle. Des propos discriminatoires, inconstitutionnels et anti-républicains qui, comme vous l’avez fait, monsieur le Premier ministre, doivent être fermement condamnés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Enfin, soulignons également la faiblesse du taux d’acceptation de l’asile en France – c’est un fait, monsieur le ministre de l’intérieur. Avec 21,7 % en France contre 41,6 % en Allemagne et 76,8 % en Suède, il est beaucoup plus bas que dans la plupart des autres pays européens. Ce faible pourcentage n’est pas à la hauteur des enjeux.

Le Président de la République a pris l’engagement d’accueillir 24 000 demandeurs d’asile supplémentaires sur deux ans. Disons-le : ce chiffre ne représente que 0,6 % des 4 millions de réfugiés syriens.

De plus, en pratique, on peut s’interroger sur l’organisation de cet accueil au regard des multiples dysfonctionnements de notre système d’asile. Les places manquent en centre d’accueil, les dispositifs d’urgence sont saturés, les files d’attente devant les préfectures sont interminables et l’intégration des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire est peu satisfaisante.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a déjà souligné le 15 juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile, l’insuffisance des mesures proposées pour corriger ces dysfonctionnements et apporter une réponse durable à la crise migratoire. Aujourd’hui, la question des moyens qui seront effectivement mis en œuvre pour accueillir dignement les réfugiés est cruciale. L’État ne doit pas se défausser de ses responsabilités sur nos territoires dont beaucoup sont déjà exsangues.

La proposition que vous avez faite, monsieur le ministre de l’intérieur, d’offrir 1 000 euros à toute commune ou association créant une place d’hébergement d’ici deux ans paraît bien faible pour aider les collectivités territoriales.

Nous proposons pour notre part qu’une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – soit mise au service de l’accueil des réfugiés au lieu d’être inutilement accordée aux grandes entreprises. Face à la tragédie qui se joue aux portes de l’Europe, aucun pays ne peut répondre seul à la crise migratoire. La solution ne peut être que collective et globale. Les 28 États membres de l’Union européenne doivent agir de concert.

Jusqu’à présent, l’Europe a failli à trouver une réponse commune efficace à cette crise. Pourtant, l’Union européenne, première puissance économique mondiale, qui rassemble 500 millions d’habitants, est tout à fait capable d’accueillir quelques centaines de milliers de réfugiés !

L’absence de réactivité européenne ne relève pas d’un manque de moyens mais d’un manque de volonté politique. L’échec de la réunion de lundi dernier sur la répartition de 120 000 réfugiés en est la triste illustration. L’arrivée des réfugiés et leur prise en charge sont ingérables car les dirigeants européens ont fait le choix de construire une Europe forteresse. L’Europe s’est enfermée – au sens propre comme au figuré – dans une pure logique sécuritaire de contrôle de l’immigration.

C’est précisément cette logique, accompagnée du renforcement de la protection aux frontières, qui conduit certains pays à priver les réfugiés de leurs droits les plus élémentaires. Il est grand temps que l’Union européenne se montre à la hauteur des valeurs qu’elle proclame et de ses responsabilités. « Il est grand temps de rallumer les étoiles », comme l’écrivait Guillaume Apollinaire.

Dans les discours, certains dirigeants européens, notamment français, semblent avoir pris la mesure de l’urgence à agir. Dans les faits, le gouvernement français doit maintenant peser de tout son poids, au sein de l’Union européenne, pour apporter une solution globale et collective à la crise migratoire, fondée sur la solidarité et la responsabilité.

Des mesures concrètes et durables doivent être prises. Il faut notamment créer davantage de moyens légaux pour parvenir en Europe, afin de permettre aux réfugiés d’échapper aux passeurs. La couverture des principales routes méditerranéennes doit être améliorée en matière de secours.

Parallèlement, il faut s’attaquer aux racines de la crise et trouver une solution politique au conflit syrien et aux autres conflits de la région, auxquels plusieurs États occidentaux ne sont pas étrangers.

En définitive, les députés du Front de gauche réaffirment leur volonté de mettre en œuvre une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des réfugiés, fondée sur le respect des droits et libertés fondamentaux. Ils considèrent que la France doit faire preuve de responsabilité et rester fidèle à sa tradition de terre d’accueil et de patrie des droits de l’homme.

Dans le contexte exceptionnel que nous vivons, il faut en finir avec la politique migratoire répressive menée depuis plusieurs années, fondée sur la surveillance et la suspicion, qui réduit le migrant à la figure du clandestin destiné à être expulsé. Les réfugiés ne doivent pas être perçus comme un fardeau pour la société. Gardons à l’esprit l’immense apport humain et matériel de la présence étrangère à notre pays.

Je conclurai mes propos avec une belle page de notre littérature, extraite du roman Le sac de billes, de Joseph Joffo, l’histoire à la fois tragique et belle d’une famille juive d’Europe centrale fuyant les pogroms, à la fin du XIXe siècle : « Et puis un jour ils franchissaient une dernière frontière. Alors le ciel s’éclairait et la cohorte découvrait une jolie plaine sous un soleil tiède. Il y avait des chants d’oiseaux, des champs de blé, des arbres, et un village tout clair, aux toits rouges, avec un clocher, des vieilles à chignon sur des chaises, toutes gentilles. Sur la maison la plus grande il y avait une inscription : liberté, égalité, fraternité. Alors tous les fuyards posaient le baluchon ou lâchaient la charrette, et la peur quittait leurs yeux, car ils savaient qu’ils étaient arrivés. La France ».

source:http://www.elunet.org/spip.php?article87978

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