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Conférence à l’ambassade d’Argentine sur Les Malouines : cinquante ans d´efforts multilatéraux pour la paix
Par Michel Billout / 15 avril 2015
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Mardi 14 avril 2015 à l’Ambassade de la République Argentine en France, l’Ambassadeur Daniel Filmus, Secrétaire d´État aux affaires relatives à la Question des Iles Malouines, rattaché au Ministère des Affaires étrangères argentin, a présenté une conférence sur le sujet « Malouines, cinquante ans d´efforts multilatéraux pour la paix », Cette dénomination évoque le 50éme anniversaire de la Résolution 2065 de l´Assemblée Générale des Nations Unies qui a reconnu
l´existence d´une dispute de souveraineté sur les Îles basée sur une situation coloniale.
Invité à participer à cette conférence par le secrétaire d’Etat, Michel Billout est intervenu en abordant le thème sous l’angle suivant : « Un multilatéralisme garant d’égalité et de nouvelles solidarités entre les peuples et les nations pour construire un monde de paix »
Monsieur le Secrétaire d’État,
Votre Excellence Monsieur l’Ambassadeur,
Mesdames et messieurs
Chers amis,
Permettez-moi de commencer par vous remercier chaleureusement, Monsieur le Secrétaire d’État, de votre invitation et de l’honneur qui m’est fait de pouvoir intervenir, ici, à vos côtés.
En réfléchissant à cette soirée et en relisant quelques articles, il m’est apparu que la situation des Malouines est assez emblématique de ce que furent les conditions des rapports internationaux, et particulièrement entre l’Amérique latine et l’Europe, au cours du passé.
Un passé long, que j’appellerai même un cycle, qui a débuté avec la colonisation européenne au XVe siècle, et qui s’achève péniblement aujourd’hui.
Un cycle caractérisé par le déploiement des logiques de puissances dotées de stratégies impériales et coloniales, qui se sont au fond fort bien accommodées du monde bipolaire issu de la Seconde guerre mondiale. C’est d’ailleurs sûrement l’une des raisons principales pour lesquelles elles ne savent pas aujourd’hui, ces « vieilles » puissances, comprendre le monde tel qu’il est désormais et le nouveau type de rapports que cela induit entre nations et entre peuples.
Lorsqu’on évoque les Iles Malouines, on pense à la guerre qui a vu s’affronter en 1982 l’Argentine dirigée par une dictature sanglante et la Grande Bretagne. Cette image est celle que les gouvernements britanniques successifs ont voulu mettre en avant pour mieux justifier l’occupation par la Grande Bretagne des Iles Malouines, Sandwich et des Géorgie du Sud. Cette image cache une vérité plus ancienne qui rend difficile de faire comprendre que la revendication de la souveraineté de l’Argentine sur les îles est une question qui relève de la lutte contre le colonialisme et contre le comportement déprédateur d’une puissance envers des ressources naturelles. Comme l’a déclaré la présidente Cristina Fernandez de Kirchner en citant un ancien combattant des Malouines : « La vérité est la grande perdante de cette guerre ».
La dispute pour les Malouines pose aussi la question de la paix avec la présence d’une base militaire qui fait partie du dispositif de l’OTAN et qui est l’un des instruments de domination impériale qui rappelle le comportement de la vieille Grande Bretagne des XVII° et XIX siècle. Les Iles Malouines, Sandwich et les Georgie du Sud font partie du butin colonial emporté par Londres, butin que la Grande Bretagne essaie de s’approprier ouvertement depuis la fin de la guerre de 1982 en se positionnant comme étant la victime d’une agression perpétrée par un régime dictatorial. C’est à cette époque que les Malouines deviennent la base militaire qu’elle est actuellement et que la Grande-Bretagne essaie d’annexer impunément en 1985 en octroyant la nationalité britannique à une population pourtant implantée artificiellement et avec l’organisation d’un référendum en mars 2013 en violation flagrante des résolutions de l’ONU.
Tant d’avidité pour des iles aussi lointaines s’explique en grande partie pour leur position géostratégique : elles permettaient hier d’exercer un contrôle sur le passage inter-océanique Pacifique-Atlantique. Aujourd’hui, la présence militaire britannique avec l’une des plus grandes bases militaires au monde, fait partie des dispositif opérationnels de la stratégie de l’OTAN : elle lui donne les capacités d’intervention et de projection dans une large zone qui inclut l’Amérique du sud, l’Afrique Occidentale, l’Antarctique et bien plus loin encore dans l’hémisphère sud.
Cette base, qui est défendue comme un morceau du territoire britannique, héberge un millier de soldats pour 2500 habitants, un port d’eaux profondes permettant l’accueil des sous-marins, deux pistes d’aviation de 2 500 et 1 500 mètres ainsi que d’autres installations militaires en constant développement.
Cette conduite arrogante est l’expression du mépris de Londres pour le droit international et pour les résolutions adoptés depuis 1965 - cinquante ans déjà ! - qui demandent aux deux parties de trouver « dans les plus courts délais » un accord par le dialogue.
La seule réponse de la part de la Grande Bretagne à ces résolutions a été leur violation systématique et régulière, comportement particulièrement condamnable d’une puissance sensée être exemplaire en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette forte présence militaire risque de s’accentuer avec les dernières décisions du Parlement britannique qui a adopté une hausse importante du budget destiné aux Iles Malouines
Pourtant ce dialogue avait été amorcé mais il s’est interrompu en 1974 quand la Grande Bretagne s’est aperçu de l’existence de réserves importantes de pétrole.
Les richesses que représentent les ressources naturelles des Iles Malouines sont,une autre raison du comportement colonialiste de Londres.
Les Malouines ont en effet des grandes richesses en pétrole, en gaz et en ressources ichtyologiques que des compagnies britanniques ont déjà commencé à exploiter ce qui constitue une nouvelle violation des résolutions de l’ONU qui demandent aux parties en conflit de « s’abstenir d’introduire des modifications unilatérales » à la situation des iles.
Les autorités imposées par Londres sur les Malouines accordent des licences d’exploitation et des facilités à ces compagnies qui pillent des ressources et qui se sont arrogées la propriété des terres comme c’est le cas de la holding Falkland Island qui revendique 46% de ces terres.
En plus du pillage en cours, il s’agit donc de créer l’illusion d’un pays qui « vit » de ses propres richesses.
A l’arrogance coloniale de la Grande Bretagne, les gouvernements de Nestor Kirchner et de Cristina Fernandez de Kirchner opposent le droit.
Le recours à la guerre a été celui de la dictature et non pas celui du peuple argentin.
L’Argentine d’aujourd’hui est partisane de la solution pacifique. Sa demande la plus pressante est celle du respect de la résolution 2065 adoptée il y a 50 ans déjà par l’Assemblée générale de l’ONU qui appelle au dialogue.
Car avec la question des Malouines, il s’agit bien d’enjeux qui ont à voir avec la légitimité des institutions multilatérales comme l’ONU qui a adopté une quarantaine de résolutions demandant le dialogue entre les parties en conflit. C’est donc de la validité du Droit international, bafoué par une puissance, dont il s’agit.
Comme le faisait remarquer dans l’un de ses articles, le chercheur Georges Saunier, le conflit et contentieux qui oppose l’Argentine et la Grande-Bretagne a pour autre particularité au moment de la guerre de 1982 – en pleine Guerre froide, c’est important de le souligner – d’opposer deux nations du même camp, du même « bloc », deux « alliés » engagés « dans la lutte contre le communisme et pour la démocratie ». Mais ce conflit a révélé crûment que cette alliance n’était certainement pas fondée sur un principe d’égalité.
Plus encore, au fur et à mesure du déroulement des événements, la Grande-Bretagne pourtant en opposition politique au sein de la Communauté économique européenne (ancêtre de notre Union européenne) parvient à faire de la CEE, dont certains membres parmi lesquels la France occupent des positions au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, une alliée à la cause de la Grande-Bretagne.
Car l’ONU saisie dès les premiers instants de la crise sera assez tôt dans la stratégie de Margaret Thatcher considérée comme l’outil de légitimation de sa tentative de reconquête militaire.
Et pour obtenir une résolution du Conseil de sécurité dans ce sens, il fallait compter avec les Européens siégeant au Conseil.
Nous retrouvons donc en condensé les ingrédients qui au cours du dernier siècle ont composé le cadre des relations multilatérales qui débouchera graduellement au fur et à mesure de l’avancée de la mondialisation capitaliste et de la main mise du capital financier sur les économies nationales.
La mise en place de cercles de plus en plus concentriques (des G20 aux G8 et G7) a contribué à disqualifier l’instance légitime qu’était à l’origine l’ONU en tant qu’espace multilatéral de prévention et de résolution politique des conflits, et sa Charte comme engagement commun de respect du droit international, de leur égale souveraineté et du droit des peuples à disposer d’eux mêmes.
Cette disqualification de l’ONU et, donc, du droit international comme cadre légitime et principe régissant les relations internationales, s’est accompagnée ensuite d’une diplomatie de connivence (pour reprendre les termes du politologue Bertrand Badie) au service des puissances et de l’instrumentalisation des institutions internationales et des cadres régionaux d’intégration.
Ces mécanismes mis en œuvre ont certainement entravé la résolution du conflit, et au passage affaibli la notion même de multilatéralisme.
Si donc il fallait tirer une leçon à partir des Malouines, c’est que le multilatéralisme véritable se fonde sur trois exigences :
le principe d’égalité entre les peuples et entre les nations,
la référence commune au droit international et la Charte des Nations unies,
la recherche permanente – par le dialogue politique – de la prévention et de la résolution des conflits, et de la résolution des grands défis humains, sociaux et écologiques de notre époque.
Ces trois exigences ne sont pas à mon sens des vœux pieux.
Partons de la réalité du monde dans lequel nous vivons ; la notion d’ « alliances » n’exclut pas, nous le savons, le rapport de force ni la logique de domination, bien au contraire, elle en est l’un des ferments.
L’interdépendance contemporaine qui découle de la mondialisation induit désormais que, pour reprendre encore une fois les mots de Bertrand Badie, ce ne sont pas uniquement les « faibles » qui ont besoin des « forts » mais les « forts » qui ont aussi besoin des « faibles ».
Car face aux grands enjeux humains et planétaires – le dérèglement climatique par exemple ou même celui de la résorption des inégalités dans nos pays, sur nos continents et entre continents, nos sociétés ont besoin de plus de solidarité et même de nouvelles solidarités.
Certainement pas de concurrence, encore moins de compétition.
C’est la raison pour laquelle, par exemple, un pays comme la France aurait dû voter la résolution présentée par l’Argentine à l’ONU contre le pouvoir financier et les fonds vautours.
La compétition sur les matières premières, les ressources pétrolières, minérales ou de gaz que se livrent, à travers les nations, les grandes sociétés multi et transnationales d’aujourd’hui précipitent l’humanité plus profondément dans les crises économiques, sociales et écologiques. Or cette logique – qui a au fond « privatisé » les relations internationales – est totalement étrangère à la notion d’élaboration politique conjointe car elle sert des intérêts particuliers.
Le multilatéralisme, pour s’exercer pleinement, nécessite l’égalité et le respect mutuel ainsi qu’un profond retour du politique, des sociétés et des citoyens dans le débat, les décisions, les conduites des politiques internationales comme nationales et leur évaluation. Il appelle à un retour des enjeux de développement humain, social et écologique au cœur même des dynamiques multilatérales.
Les événements que traversent le Proche et le Moyen Orient, mais aussi l’Afrique de l’Ouest, depuis maintenant 15 à 30 ans manifestent de l’échec patent de ces logiques de puissance, de compétition et de domination héritées de l’ère coloniale et du Congrès de Vienne.
C’est précisément l’expérience de l’intégration latino-américaine qui fait la démonstration que le multilatéralisme ne peut véritablement qu’être fondé sur des bases d’égalité et qu’il représente le chemin vers la construction de solutions politiques pour la paix, la justice et le développement partagé.
Le continent latino-américain prouve que chacun, dans la poursuite de nos projets et choix de sociétés propres, trouve avantage à s’inclure dans des dynamiques de solidarités renforçant les convergences d’intérêts profonds entre nos peuples, quels que soient les choix politiques qui sont les leurs. Par conséquent, il ne s’agit plus de jouer entre « alliés » – toujours de circonstances – contre des « ennemis » ou « adversaires » – également de circonstances, mais d’agir en partenaires, c’est-à-dire en égaux.
Le rôle de l’Europe, à cet égard, et singulièrement de la France – c’est le terrain du combat que je mène – peut être déterminant pour rétablir la Charte des Nations unies et l’ONU qui en est l’instrument, comme cœur du cadre multilatéral qui doit être celui de notre siècle.
Mais l’Union européenne, vous le savez, est en crise profonde, en crise économique bien sûr, mais aussi en crise politique, en crise démocratique, et même en véritable crise de légitimité – pour reprendre le terme de mon ami Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen.
Cependant l’avènement en Grèce d’un gouvernement d’union nationale dirigée par la gauche, en l’occurrence Syriza, qui entend rompre avec les politiques d’austérité en Europe place le cadre régional européen à l’aube de nouvelles possibilités pour sa profonde réorientation.
L’alternative est donc la suivante :
soit l’Union européenne s’enfonce dans l’austérité et les dogmes ultralibéraux, c’est-à-dire dans la crise, au risque de son éclatement dans les plus mauvaises conditions pour ses pays membres,
soit elle met à l’ordre du jour sa propre réorientation.
Il s’agit alors de renégocier les traités qui aujourd’hui privent nos peuples de leur souveraineté populaire en matière de décisions politiques et économiques et d’aborder l’ambition de bâtir un espace de solidarité, de progrès, de développement et de coopération entre ses États membres et avec le monde, notamment avec les pays d’Amérique latine.
Nous serions sans doute beaucoup plus avancés sur ce chemin si les dirigeants français avaient un tant soit peu la volonté politique du nouveau gouvernement grec qui porte un projet émancipateur pour l’Europe et qui cherche à sortir son peuple de la crise par la relance sociale, la création d’emploi, l’investissement et le développement.
Il ne vous a sans doute pas échappé que récemment Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission européenne, a plaidé publiquement pour la mise en place d’une armée européenne. La seule voix officielle qui s’y est opposée est celle de la Grande-Bretagne, précisément, craignant par la création d’une telle force armée continentale la remise en cause, voire la fin, de l’OTAN. Cette idée d’armée européenne n’est pas nouvelle mais elle ressurgit au moment où sont ravivés des tensions très fortes avec la Russie.
Cette idée est, de plus, portée par ceux qui prétendent que l’UE n’a pas de politique internationale commune et qu’une armée commune doterait de fait l’espace européen d’une politique extérieure cohérente.
Autrement dit, enfermés dans une logique de compétition et de rapports de force, les dirigeants actuels de l’Europe sont prêts à aggraver la militarisation des relations internationales plutôt que de construire une politique ouverte et de dialogue.
C’est la raison pour laquelle, je pense qu’un pays comme la France, qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU, a une responsabilité particulière dans la refondation de l’UE pour elle-même et pour ses relations avec les peuples du monde.
Elle a également une responsabilité particulière dans la nécessité de restaurer la Charte des nations unies comme fondement des relations internationales de notre époque visant la paix, la solidarité et le développement partagé.
Nous avons devant nous une tâche immense mais elle est impérative.
Les grands enjeux humains, sociaux et écologiques doivent mobiliser nos institutions internationales en garantissant à tous les peuples, toutes les nations leurs droits et leurs voix au chapitre dans la construction de solutions politiques communes et d’un avenir commun de paix.
Merci de votre attention et à nouveau de votre invitation.
source:http://www.michelbillout.fr/Conference-a-l-ambassade-d.html