Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, revient sur la victoire de Syriza et son alliance avec les Grecs indépendants. Selon lui, il existe "un tronc commun" entre ces deux formations "qui est le refus de l’austérité". Mais le Front de gauche pourrait-il en faire autant en France ? Le responsable communiste ne ferme pas immédiatement la porte et admet qu'il existe "des gens qui ne se reconnaissent pas dans des formations de la gauche actuelle et qui sont sensibles à des thématiques sur la souveraineté nationale". Néanmoins, "il faut d’abord commencer par mettre en mouvement l’ensemble des forces de gauche" s'empresse-t-il d'ajouter...
Marianne. Comment avez-vous vécu l’annonce de la victoire de Syriza en Grèce ?
Pierre Laurent. Ça a été un moment de bonheur partagé avec le peuple grec et avec Syriza, formation avec laquelle je travaille dans le Parti de la gauche européenne depuis des années. Le peuple grec a réaffirmé sa dignité dans ce vote après cinq années d’humiliation. Evidemment, cette victoire de Syriza est un immense signal d’encouragement pour toutes les forces qui, en Europe, essayent d’ouvrir des alternatives aux politiques d’austérité. C'est une victoire pour la solidarité, contre les politiques d’austérité et contre les tentations de replis identitaires, racistes et xénophobes. Avec cette victoire, il y a l’affirmation que le débat en Europe doit être réouvert pour creuser le chemin des solutions dans la solidarité. Et ça, c’est un succès pour le travail politique que nous avons mené avec toutes les forces de la gauche européenne ces dernières années, pour imposer dans le paysage une sortie de crise qui ne soit ni celle des marchés financiers ni celle des forces de replis, populistes et nationalistes.
Marianne. Comment définiriez-vous la pensée politique de Syriza et de son chef de file, Alexis Tsipras. Certains n’hésitent pas à dire, comme le secrétaire d’Etat Jean-Marie Le Guen, qu’ils sont de véritables sociaux-démocrates, plus proches de François Hollande que des positions du Front de gauche ?
Pierre Laurent. Il y a beaucoup de soutiens de la dernière heure à Syriza qui se manifestent aujourd’hui et qui veulent récupérer cette victoire politique. La formation d’Alexis Tsipras est une formation clairement inscrite dans le courant de la gauche de transformation sociale, une gauche antilibérale et anticapitaliste. Une gauche qui travaille à l’émergence d’un nouveau modèle social productif et écologique en Europe. C’est un courant de gauche qui allie la tradition communiste, la tradition de gauche radicale et la tradition écologiste et qui a réussi à construire une coalition cohérente. C’est aussi une formation qui s’inscrit dans un mouvement de solidarité européenne et internationaliste progressiste qui la distingue totalement des formations d’extrême droite, et notamment du Front national qui a tenté lui-aussi de récupérer les fruits de la victoire de Syriza. D’ailleurs le parti qui a été à l’origine de Syriza, le parti Synaspismos, qu’a présidé Alexis Tsipras était au côté de Die linke en Allemagne, de Izquierda unida en Espagne ou du Parti communiste français, un des six partis fondateurs de la Gauche européenne en 2004. Syriza s’est toujours inscrite en rupture avec la dérive libérale de nombreux partis sociaux-démocrates en Europe qui ont participé, et qui continuent d’ailleurs à participer, au consensus social-démocrate et conservateur dans la gestion de l’Union européenne libérale. C’est un parti qui a marqué sa rupture avec ces politiques-là et qui, à partir de la crise de 2008 — à la différence du Pasok qui a accompagné les plans d’austérité de la Troïka — a pris la tête du mouvement de résistance du peuple grec. Evidemment, la dynamique politique qu’a su créer Syriza et la victoire politique qu’il a construite au fur et à mesure lui a permis de rassembler en son sein et dans son électorat énormément de déçus du Pasok. La coalition Syriza est devenu au final le grand parti de toute la gauche grecque en résistance aux politiques libérales européennes.
Marianne. Vous faites de Syriza un compagnon de combat du PCF. Néanmoins, l’annonce d’une alliance avec le parti des Grecs indépendants, formation souverainiste de droite, pour former un gouvernement ne doit pas être pour vous plaire...
Pierre Laurent. C’est un choix contraint par les circonstances. Le parti des Grecs indépendants n’est pas l’allié naturel de Syriza et les différences de programmes entre eux sont très nombreuses. Mais il y a un tronc commun qui est le refus de l’austérité. Je crois qu’Alexis Tsipras a donné des garanties fortes pour que la boussole du nouveau gouvernement grec soit le programme qu’il a défendu devant les électeurs. Donc, le socle de son programme n’est pas remis en cause par le soutien que le parti des Grecs indépendants a décidé d’apporter au gouvernement. Je pense que le souci de Syriza aujourd’hui est d’apporter de la stabilité au gouvernement et de lui permettre d’entrer dans le débat européen avec une situation politique garantie et stable en Grèce, de manière à pouvoir peser avec toute la force nécessaire dans les discussions qui vont être difficiles avec la Commission européenne et les chefs d’Etat européens.
Marianne. Est-ce l’on peut dire que ce « pragmatisme » dans ses alliances est finalement l’une des clés de la réussite de Syriza, en s’affranchissant d’un certains dogmatisme ?
Pierre Laurent. Je crois effectivement que Syriza a pris les choses dans le bon ordre. C’est le programme, son contenu, ce socle politique qui résulte de ce contrat qu’il a passé avec les électeurs, qui est la boussole de son action. Autour de ses engagements-là, Syriza construit un rassemblement dont il cherche en permanence à faire évoluer les frontières en les élargissant. Mais, cet élargissement ne peut se faire que sur un programme qui est clairement mis sur la table. La construction politique et les alliances qui suivent sont au service de ce programme. Trop souvent en France, dans notre débat politique national, les questions sont prises à l’envers. Et je crois que nous devrions, au moins sur ce point, nous inspirer de ce qui a été fait. Construire un socle programmatique fort correspondant aux nécessités de sortie de crise et, sur ce tronc commun, s’employer à élargir sans cesse les contours du rassemblement populaire et politique. Le débat a priori sur les alliances est épuisant. Il intéresse de moins en moins. Nous devrions plutôt nous concentrer sur le débat politique et public avec les citoyens, sur le programme d’urgence dont la France a besoin.
Marianne. Vous qui faites de Syriza une source d’inspiration, seriez-vous prêt à vous en inspirer jusqu’à vous rapprocher de formations semblables au parti des Grecs indépendants pour former un « front commun » contre les politiques d’austérité ? Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan est peut-être la formation qui s'en approche le plus ?
Pierre Laurent. Il faudrait avant cela s’occuper de construire le rassemblement de toutes les forces de gauche anti-austérité et leur donner l’assise et le poids nécessaire dans le pays. Bien évidemment, il y a des gens en France qui ne se reconnaissent pas dans des formations de la gauche actuelle et qui sont sensibles à des thématiques sur la souveraineté nationale. L’une des dimensions de la crise en Europe, c’est l’habitude qui a été prise par les dirigeants européens de bafouer la souveraineté nationale. En France, nous savons très bien ce que ça veut dire. Le vote sur le Traité constitutionnel européen en 2005 a été méprisé par nos gouvernants, balayé d’un revers de main. Cette fracture démocratique, cette atteinte à l’expression de la souveraineté populaire a laissé une cicatrice qui a marqué en profondeur le peuple français. Et il y a évidemment des forces à rassembler autour de la question de la souveraineté nationale et populaire. Mais pour construire un rassemblement solide sur ces questions, il faut d’abord commencer par mettre en mouvement l’ensemble des forces de gauche, les forces attachées au développement du progrès social. Il faut construire les choses dans l’ordre. L’autre force de la formation de Tsipras a été d’apparaître pour les Grecs comme une force neuve et antisystème en refusant notamment de passer des accords avec le Pasok.
Marianne. Finalement, les accords que le PCF a pu nouer avec le PS dans un passé proche n’empêchent-ils pas le Front de gauche de suivre le chemin de Syriza, en apparaissant comme encore et toujours lié à ceux qui mettent en œuvre les politiques d’austérité ?
Pierre Laurent. L’un des piliers de la politique que nous menons, de la construction de l’alternative que nous souhaitons, doit être la défense permanente des politiques publiques existantes qui sont mises en œuvre aujourd’hui par des majorités de gauche dans des collectivités locales. Ces politiques sont menacées par les orientations libérales, par la réduction des dépenses publiques et par la remise en cause de certaines politiques institutionnelles comme la surpression des départements. Nous avons à maintenir le cap de la défense de ces politiques publiques et des politiques de services publics en toutes circonstances. A ce niveau, nous nous devons de créer les rassemblements nécessaires pour le faire. Mais, je le rappelle, ce qui nous guide, c’est le fond et le contenu des politiques défendues. Heureusement que nous avons l’ambition de travailler à modifier les frontières possibles du rassemblement. Comment croyez-vous que Syriza est passé de 5% il y a cinq ou six ans à la majorité aujourd’hui, si ce n’est en gardant en permanence l’ambition du rassemblement. Je ne commence pas par dresser des barrières mais par poser les bases politiques du rassemblement sans faire de compromis pour autant avec les politiques d’austérité que je combats. Et sur ces bases-là, je ne demande à personne de passeport politique ou de certificat de virginité. Oui, je pense que des gens qui ont malheureusement soutenu certains choix que je combattais ces dernières années, peuvent se retrouver avec nous pour construire. Du moins, s’ils ont compris que les politiques qu’ils soutenaient mènent à l’impasse. Je ne procède pas par oukase politique. Je préfère favoriser, dans la clarté, une dynamique politique qui fasse constamment bouger les lignes du rassemblement que nous souhaitons.
Marianne. Mais passer des accords avec la direction du PS ne décrédibilise-t-il pas le combat contre les politiques d’austérité ?
Pierre Laurent. Aujourd’hui, un accord global avec la direction du Parti socialiste n’est effectivement pas possible à cause du soutien affiché de ce parti à la politique gouvernementale. En revanche, il est possible, sur des objectifs particuliers, de construire des rassemblements qui mettent en cause la politique gouvernementale. Regardez comment la victoire de Syriza fait bouger les lignes dans le débat à gauche. Cette victoire va libérer des forces nouvelles, va encourager ceux qui n’osaient pas franchir le pas d’un travail sur l’alternative avec nous. Il faut en permanence que nous nous considérions en charge de ce rassemblement et non pas comme une force qui aurait à le subir. Puisque le PS se montre de plus en plus dans l’incapacité de conduire à la victoire comme on a pu le consater lors des dernières élections, nous nous devons donc de prendre le relai en portant l’ambition d’un rassemblement nécessaire sur d’autres bases. L’autre démonstration de la victoire de Syriza est que la critique de l’Europe et des politiques d’austérité sans en prôner forcément la sortie est entendue par le peuple.
Marianne. Estimez-vous que cela vient conforter la ligne que vous défendez au sein du Front de gauche contre ceux qui en appellent, en interne, à envisager la sortie de l'Union européenne et de l'euro ?
Pierre Laurent. C’est un débat que nous avons eu de nombreuses fois avec Alexis Tsipras au sein de la gauche européenne. Nous étions convaincus qu’il fallait imposer au sein de l’Europe cette voie-là. Car sinon le risque était évident. Ceux qui dominent l’Europe avaient beau jeu de dire : « Vous êtes contre les orientations actuelles de l’Union européenne ? Eh bien partez ! Allez voir ailleurs ! » Un argument pour organiser le chantage contre les peuples européens et particulièrement contre le peuple grec. La victoire de Syriza, c’est la victoire d’une force qui dit : « Non ! Nous voulons faire respecter la voix du peuple grec, comme une voix souveraine, dans l’Europe parce que nous voulons une solution dans la solidarité ». Le problème de la dette grecque ne concerne pas que la Grèce. C’est un problème de l’Europe toute entière. C’est le problème de la toute puissance des marchés financiers sur la construction européenne. Pour lever cette chape de plomb, les Grecs ont besoin d’une réponse dans la solidarité. Et la voie qu’ils sont en train d’ouvrir est porteuse de changement pour l’Europe toute entière. Je crois que ce combat a pu paraître tellement difficile que certains ont été tentés par la voie de « la sortie ». Mais l’avenir s’oriente vers un combat qui fédère les forces de résistance pour changer les rapports de force internes. La victoire de Syriza change la donne politique. C’est pour cela que nous avions choisi Alexis Tsipras comme candidat commun à la présidence de la Commission européenne. Il fallait l’imposer comme un acteur majeur du débat politique européen, rendre crédible l’alternative de gauche en Europe que nous portons. Et nous sommes en train de marquer des points dans cette direction. C’est une très bonne nouvelle.
Marianne. Face aux succès de Syriza, comment expliquez-vous la situation française, avec un FN qui caracole toujours en tête et un Front de gauche qui n’arrive pas à s’imposer ?
Pierre Laurent. Nous avons des efforts à faire dans plusieurs directions. Nous devons mieux crédibiliser notre programme de sortie de crise et être probablement plus lisible et plus simple sur les solutions que nous proposons pour la France. Nous manquons aussi d’ambition unitaire et de rassemblement. Certains débats sur les alliances nous stérilisent alors que nous devrions afficher avec beaucoup de force nos ambitions unitaires. Enfin, je pense que nous avons besoin d’un travail de solidarité concret plus important auprès des populations qui sont victimes de la crise. Le sentiment d’abandon démocratique et politique est extrêmement fort dans les catégories populaires en France. Et nous avons du travail pour réparer cette situation. Quant au progrès du Front national, il est le résultat d’un jeu dangereux joué par les forces politiques dominantes. La responsabilité de la droite et de Nicolas Sarkozy est écrasante dans cette avancée parce qu’en libérant la parole de son électorat et en empruntant certaines thématiques, il a ouvert les vannes de la progression du FN. Du côté du Parti socialiste, ils ont joué avec le feu en croyant utiliser le FN comme un repoussoir. Mais aujourd’hui on s’aperçoit qu'à ce haut niveau, c’est un poison pour la vie politique nationale et nous avons, c'est vrai, un travail considérable pour changer la donne. Néanmoins, avec ce qui vient de se passer en Grèce et ce qui vient de se passer en France en réaction aux attentats contre Charlie Hebdo, cela montre bien ce que j’ai toujours pensé : des forces disponibles immenses existent. Si nous savons trouver les étincelles politiques qui viendront réveiller ce potentiel, les choses peuvent se retourner assez vite dans notre pays.
Marianne, le 28 janvier 2015
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