3 Décembre 2014
auteur:
Marc Botenga
Selon la presse, il existerait un accord entre le MR, l’Open Vld, le CD&V et la N-VA sur l'adoption d'une résolution par la Chambre en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien. Ensuite, le gouvernement en prendra acte et l'implémentera. La Belgique deviendrait ainsi le deuxième pays occidental, après la Suède, à reconnaître l’État palestinien. En soi, une telle reconnaissance serait un pas dans le bon sens. Même si la démarche du gouvernement pose question.
Une reconnaissance attendue trop longtemps
Aujourd'hui 135 pays reconnaissent l’État palestinien. Les pays d'Europe de l'Est et l'Union soviétique l'avaient reconnu en 1988. Cette année, la Suède est devenue le premier pays d'Europe occidentale à le faire. Les parlements britannique, espagnol et français se sont dans des résolutions non-contraignantes aussi prononcés en faveur d'une telle reconnaissance. En reconnaissant l’État palestinien la Belgique ne ferait donc que le strict minimum.
Pourtant, il y a quelques semaines ce strict minimum était loin d'être acquis. Lors de la présentation de sa note politique début novembre, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR) a été interrogé par le député PTB Marco Van Hees, fraîchement revenu d'une mission de solidarité en Palestine. Van Hees lui a demandé si la Belgique serait prête à reconnaître la Palestine. Reynders affirmait ne pas s'y opposer a priori, mais selon lui une telle indépendance doit cadrer dans une « vrai processus de paix ». En d'autres mots : Israël aussi devrait être d'accord.
Si l’on s’en tient aux titres de la presse, le revirement du gouvernement semblerait donc de taille. En réalité, la démarche du gouvernement pose question. Premièrement c'est au gouvernement seul qu'incombe la compétence de reconnaître l’État palestinien. Pourquoi donc passer par une résolution parlementaire, plutôt que de reconnaître de suite la Palestine ? Veut-on éviter que ce soit l'opposition qui propose une résolution ? Deuxièmement, en ligne avec les déclarations précédentes de Reynders, le gouvernement voudrait reconnaître l’État palestinien au moment « opportun ». Il est évidemment absurde de rendre la reconnaissance de l’État palestinien par la Belgique dépendant de l'accord d'Israël ou de la reprise des négociations. Dans son éditorial du Soir, Baudouin Loos souligne qu'Israël « a plus que doublé le nombre de colons juifs vivant en territoires palestiniens occupés depuis que des négociations existent (début des années 1990), a donné le plus bel exemple de ce qu’il convient de faire pour rendre irréel voire absurde l’objet même des négociations. » Vouloir attendre la réanimation du processus de paix avant de reconnaître l’État palestinien revient donc à refuser la viabilité d'un État palestinien même.
Ce qu’en pensent des progressistes locaux
L'écrivain et activiste palestinien Khaled Barakat souligne que, pour le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), la question de la reconnaissance est double. « D'une part, explique-t-il, nous voulons en finir avec les négociations et reprendre la lutte politique, y compris au sein des Nations-Unies. » Selon lui, « ceci est mille fois mieux que des négociations. Nous voulons être capable d'avoir une percée pour porter les dirigeants sionistes devant la Cour pénale internationale. Nous pensons que ceci est une bataille très importante, parce que, si cela ne se fait pas demain, ou dans 10 ans, ou même pendant notre génération, les futures générations palestiniennes continueront le combat pour que cela se fasse. Donc il s'agit d'une position tactique pour le FPLP. Quand l'État palestinien a été reconnu comme État observateur non-membre aux Nations-Unies, nous avons appelé le président de l'Autorité palestinienne à ne pas utiliser ceci comme une tactique pour un nouveau cycle d'illusions et de négociations. Ce dont nous sommes sûrs, c'est que les sionistes sont furieux parce qu'ils ne veulent pas que ceci constitue une ouverture à d'autres démarches palestiniennes ou à de la pression internationale.»
Si certains voient la reconnaissance de l'État palestinien comme la consécration de la solution à deux États, un État palestinien à côté d'un État israélien, l'historien israélien Ilan Pappé voit la chose différemment. En 2011, il décrivait la potentielle reconnaissance de l'État palestinien comme membre des Nations-Unies comme « les funérailles de la solution à deux États », un moment qui pourrait faciliter le passage vers un seul État. En effet, Ilan Pappé ne croit pas du tout en une solution à deux États. Selon lui « ce n'est une solution que pour une partie des Palestiniens et pour une partie de la Palestine. Les Palestiniens en Israël (un citoyen sur cinq en Israël est palestinien) et les réfugiés sont tenus à l'écart de cet arrangement, alors qu’ils constituent 50 % du peuple palestinien. Tout le corps est malade et nous ne proposons de guérir qu'une seule main. Deuxièmement, le seul État palestinien qu'Israël peut accepter n'aura pas de souveraineté pour les Palestiniens et pas d'intégrité territoriale. Dernièrement, les Israéliens ont tellement colonisé la Cisjordanie qu'il n'y a pas moyen de trouver un endroit raisonnable pour un tel État. » Aux yeux de Pappé, la paix ne peut passer que par l'élimination des idéologies et politiques racistes et d'apartheid.
Mohammed, un jeune palestinien, raconte que, pour lui, le débat autour de la reconnaissance de l'État palestinien comporte un risque autant qu'une opportunité. Le risque est que la reconnaissance soit utilisée pour recommencer un énième tour de négociations. Ces 20 dernières années, ces négociations, incarnant un échec après l'autre, ont permis à Israël de continuer la colonisation illégale avec le soutien des États-Unis et l'Union européenne. Mais cette reconnaissance peut aussi porter en elle des résultats plus positifs si elle pousse les pays reconnaissant la Palestine à mettre une véritable pression politique sur Israël. C'est-à-dire à suspendre l'accord d'association qui fait d'Israël un quasi-membre de l'Union européenne et à soutenir des campagnes comme BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). « Israël reste, souligne-t-il, un pays très faible. Ce n'est que le soutien international dont il jouit que le fait apparaître si fort. »
Donner du sens à la reconnaissance
Quoi qu'il en soit, la seule reconnaissance de l’État palestinien, même inconditionnelle, ne transformera pas la réalité du rapport de forces sur le terrain. La colonisation continue, l'occupation aussi, tout comme le blocus sur Gaza.
Face à Didier Reynders, Marco Van Hees soulignait que, comme face au régime d’apartheid en Afrique du Sud, seule une véritable pression sur Israël pourra forcer Tel Aviv a faire des concessions. « Parce que, affirmait Van Hees, lors de ma mission, j'ai vu que mettre fin au “conflit israélo-arabe” est compliqué, mais mettre fin à l'occupation, non. » Israël ne modifiera sa stratégie que si des mesures font mal. Van Hees a entre autres demandé que la Belgique soutienne un embargo militaire contre Tel Aviv, prenne des sanctions financières et reprenne les demandes de la campagne Made in Illegality du CNCD-11.11.11.
Au niveau de l'Union européenne, la suspension de l'Accord d'Association, qui fait d'Israël presque un État-membre de l'Union européenne, est une nécessité afin d'envoyer un message clair à Tel Aviv.
Source:http://ptb.be/articles/la-reconnaissance-de-l-etat-palestinien-un-pas-vers-la-fin-de-l-occupation