La militante kurde nous livre sa réflexion sur la résistance dans la région de Rojava. Manif à 14h aux Mobiles.
Nezahat Sahin, ex-Présidente du centre culturel de Mesopotamie, est membre de la commission des femmes au sein du centre démocratique des Kurdes à Marseille. Elle travaille depuis peu comme médiatrice et traductrice à l’Agora, centre social de la Busserine (14e). La jeune femme, mère de deux enfants, appelle tous les Marseillais à manifester, aujourd'hui à 14h aux Mobiles (haut de la Canebière), pour soutenir la résistance des femmes kurdes à Kobanê et de toutes les femmes de la planète. Et à apporter leur solidarité aux victimes de Daesh et de tous les groupuscules religieux fascistes qui s’attaquent à celles qui donnent la vie, en semant la mort.
La Marseillaise. Quel rôle jouent les femmes dans la société kurde en général ?
Nézahat Sahin. C’est une longue histoire. À la création du Parti des travailleurs du kurdistan, PKK, en 1978, il y avait une seule dirigeante parmi les hommes, Sakine Cansiz qui a été assassinée à Paris le 9 janvier 2013. Les femmes ont été longtemps cantonnées à la maison aux tâches ménagères, elles étaient mères, épouses, filles, soeurs et ne s’exprimaient pas à l’extérieur. Le tournant vient en 1984, elles commencent à prendre part aux combats contre la répression de l’armée turque. Le Parti des travailleurs du Kurdistan a inscrit dans son programme et son idéologie la libération des femmes. Si les femmes ne sont ni libres ni fortes, si elles ne battent pas, nous ne sommes rien, la société meurt. Elles se retrouvent au sein du PKK car cette organisation politique répond à leurs aspirations. Comme elles ont lutté aux côtés des hommes politiquement et militairement, la mentalité de ces derniers a évolué car au départ ils ne voulaient pas d’elles sur le front. Et c’est dans les années 90 que les femmes ont pris toute leur place dans les luttes.
La Marseillaise. Il n’est pas courant en temps de guerre de voir des femmes les armes à la main, exception faite des guérillas en Amérique centrale et du Sud, comment se fait-il qu’à Kobanê, elles soient à la pointe des combats contre les fanatiques religieux de l’EIL ?
Nézahat Sahin. Les intégristes islamistes ne veulent pas des femmes, ils s’attaquent à leur intégrité physique, à leurs droits, il est donc logique qu’elles se battent contre eux. Il en va de leur survie et de celle de l’humanité.
La Marseillaise. Justement, l’organisation politique et sociale de Rojava (région au Nord de la Syrie à majorité kurde) laisse une énorme place aux femmes. Qu’est-ce qui se joue là-bas, quelle expérience vivent les gens ?
Nézahat Sahin. C’est une révolution ! Un processus qui ne tombe pas du ciel. Pendant 18 ans, Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, a vécu en Syrie. La révolution à Kobanê, c’est le résultat de ce long travail politique du PKK avec, à sa tête, Öcalan. Quand Daesh a attaqué Kobanê, les habitants étaient organisés, sans cela comment auraient-ils pu résister à cette horreur et la combattre ? Dans la région de Rojava, en Syrie, le peuple s’auto-organise sans État. Pendant le printemps arabe, on a réussi à rassembler d’autres peuples comme des Arabes, Turkmènes, Assyriens, Arméniens, musulmans, chrétiens, yézidis, non-croyants. Les 3 cantons de Rojava (Ciziré, Kobanê, Efrin) sont co-présidés par un homme et une femme, c’est aussi le cas dans les Mairies au Kurdistan turc. À Ciziré, le co-président est arabe, il est arrivé avec 3.000 combattants pour lutter contre Daesh avec les Kurdes et la présidente est Kurde. Dans le Rojava, les femmes ont pris le pouvoir.
La Marseillaise. Pourquoi Kobanê résiste-t-il si bien ?
Nézahat Sahin. Depuis des centaines d’années, les Kurdes luttent pour leur libération. C’est un peuple de résistants. Mais ce n’est que depuis peu que nous sommes proches de la victoire. Ce qui ne plaît pas aux État-Unis ni d’ailleurs aux puissances occidentales, dont les pays européens. Ces nations ne veulent pas d’un modèle de démocratie participative comme elle est vécue au Kurdistan turc et syrien. Mais il est impossible de construire une société juste sans les Kurdes. Le Kurdistan syrien et irakien sont intimement liés. Si Kobanê tombe, Sinjar tombe. Les habitants de Kobanê, ceux de Sinjar sont sur leur terre depuis des millénaires, Daesh est un danger fasciste pour nous, pour le Moyen-Orient, l’Europe, la France, pour toute l’humanité. Si Kobanê tombe, c’est la mort. On sait pourquoi on lutte, on lutte pour la vie.
Interview réalisé par Piédad Belmonte (La Marseillaise, le 22 novembre 2014)
source:http://13.pcf.fr/62238