On avait arraché la peau du visage de l’un des étudiants, une image d’horreur typique des meurtres commis par les narcos. La photo, prise dans l’État de Guerrero, où la guerre des narcos fait rage, a été prise il y a sept semaines et tourne depuis sur Internet. Le même jour, 35 personnes ont été tuées et 43 élèves de l’École normale ont « disparu » dans la petite ville d’Ayotzinapa. Le Procureur général devait un mois plus tard, lors d’une conférence de presse relative à ces violences, reconnaître qu’ils étaient morts, sans en tirer aucune conclusion. À la fin de la conférence, le premier magistrat debout du pays déclara qu’il était « fatigué » ce qui ne plus pas vraiment à tous ceux qui était touchés par la douleur des parents des étudiants.
Ces évènements furent l’étincelle qui mit le feu aux poudres dans le pays, l’un des plus grands et l’une des premières économies d’Amérique latine. Tout le Mexique est devenu le théâtre d’actions de contestation presque quotidiennes Depuis l’enlèvement des étudiants, le 26 septembre, tout le pays regorge de manifestations massives, de veilles aux bougies, de grèves syndicales et étudiantes, d’occupations de bâtiments officiels et d’universités, de sit-in et de tables rondes au sujet des retombées de la violence de « l’État narco » et de la fermeture des ponts internationaux.
Même si les 43 étudiants , toujours considérés comme disparus en raison de l’absence de preuves médico-légales, ont servi initialement de catalyseur au mouvement, le pays était depuis longtemps déjà excédé par le problème récurrent des disparitions et l’impunité officielle de leurs auteurs. Rien que ces trois dernières année, ce sont 24 000 disparitions qui ont été comptabilisées - et il s’agit de chiffres officiels. D’autres analyses fournissent des estimations bien plus élevées.
Le maire d’Iguala et sa femme, surnommés « le couple impérial », ont été arrêtés il y a quelques semaines, comme Telesur l’a rapporté. Le couple en fuite a été rattrapé dans une maison qu’ils avaient louée à Itzapalapa, dans la ville de Mexico. On avait espéré que cela ferait beaucoup avancer l’affaire, mais il n’en a rien été.
Le Jour de la Révolution, une importante fête nationale, d’ordinaire accompagnée de défilés officiels et très patriotique, a été marqué par plus de 200 actions de résistance. Le 20 novembre 1910, Francisco Madero appela à la révolte contre le dictateur Porfirio Diaz. Après 10 ans de lutte, la révolution triompha, et depuis ce jour est célébré.
« Marre d’avoir peur ! »
Le mouvement massif exigeant la justice pour les 43 étudiants a un nom bien approprié à l’ère numérique : #YaMeCanse, un hashtag de Twitter. Il a jailli presque instantanément sur de nombreux fils Twitter en réponse aux plaintes du Procureur général Murillo Karam: « je suis fatigué» (ya me canse; qui peut aussi signifier « j’en ai marre » , ce qui devint le cri de guerre du mouvement.)
Après le jour national et international de résistance, analystes et commentateurs commencèrent dans tout le Mexique à parler d’une révolution moderne qui se prépare dans le pays.
Des actions dans tout le Mexique et au-delà
Ce jeudi 20 novembre fut baptisé « Combat mondial pour Ayotzinapa », car les actions de solidarité au Mexique s’accompagnèrent de manifestations de solidarité dans le monde entier, y compris en Europe (Espagne et Hollande) et dans quelques-uns des plus grands États des USA, par exemple le Texas et la Californie.
Les évènements organisés dans la capitale, Mexico, siège du gouvernement et regroupant plus d’un quart de la population du pays, ont enclenché le reste de manifestations.
Trois caravanes conduites par les proches parents des 43 étudiants en direction de Mexico attirèrent l’attention du monde entier. Lorsqu’elles arrivèrent aux environs de la ville, elles furent rejointes par trois autres marches ayant le même but et qui arrivaient de trois places symboliques de Mexico : la place Angel de Independencia, bordée par les buildings des multinationales, la place des Trois Cultures à Tlatelolco, théâtre du scandaleux massacre du 1968, où périrent 300 étudiants et la place Monumento de la Revolución .
Ces trois manifestations confluèrent en une énorme masse dans le centre historique de la ville, le Zócalo. Là furent montrées ou jouées les images les plus abondamment reprises sur Internet. Le Président Nieto fut brûlé en effigie. Un cercle immense s’était formé autour de cette action symbolique. Puis quelques escarmouches opposèrent quelques manifestants masqués à la police, lorsqu’un feu fut allumé devant l’entrée du Palais national.
Peña Nieto est brûlé en effigie
D’autres actions se déroulaient en même temps dans toutes les villes mexicaines d’importance. Le mouvement avait appelé tous les Mexicains et Mexicaines à ne pas se rendre au travail ni à l’école, afin de déclencher une grève générale.
Le mur de la mort entre le Mexique et les USA
Les villes frontalières de Ciudad Juarez et El Paso donnèrent un exemple de contestation transfrontalière par des évènements, des marches et des actions politiques. L’ensemble des deux villes constitue la plus grande métropole frontalière au monde et les postes frontières du pont international qui les relie furent temporairement occupés par les manifestants. Après la levée du blocus, ces derniers exigèrent et obtinrent le passage gratuit de centaines de voitures ; d’ordinaire on paie 26 pesos (2$) pour passer.
Des milliers de personnes ont protesté contre le défilé officiel à Juarez, et à El Paso des groupes d’étudiants et d’organisations de solidarité ont manifesté devant le consulat mexicain en faveur des 43 disparus.
À Hermosillo, dans la ville de Sonora, au Nord du Mexique, des milliers de syndicalistes et d’étudiants ont manifesté. Des étudiants ont occupé la Halle des Congrès et exigé qu’on mette fin à l’impunité et à la violence du narco-État.
À Tijuana, la deuxième ville frontalière mexicaine, des étudiants des grandes écoles et de l’Université de Baja California (UABC) ont organisé une Marche de la révolution pour faire pièce au défilé officiel de la ville. Elle réclamait la fin de l’oppression par l’État.
Cuernavaca est la ville d’origine du plus célèbre poète mexicain, Javier Sicilia. Depuis 2011, année où son fils et 6 de ses amis ont été assassinés, prétendument par des membres du cartel de la drogue, il n’a plus rien écrit. Mais il a conduit la plus grande campagne en faveur de la paix et contre la drogue du Mexique. Elle a commencé au plus fort de la violence des narcos, sous Calderon, le Président précédent. Ce 20 novembre les syndicats ont marché sur le Palais Cortes. L’énorme rassemblement qui a suivi a planifié d’autres actions à venir.
À Oaxaca a eu lieu en 2006 un soulèvement important du type de l’actuel #YaMeCanse pour exiger la démission du gouvernement de l’état. La 22ème section du syndicat des enseignants a organisé 4 marches et exigé le retour sains et saufs des 43 étudiants.
À Monterrey, mille personnes organisées sur Internet se sont rassemblées en témoignage de solidarité avec les 43 disparus dans le centre-ville, déjà souvent témoin des violences liées à la guerre contre la drogue.
Cancun, la plage la plus célèbre du Mexique, attire chaque année six millions de touristes. Il est rare d’y voir des actions de résistance. Pourtant, le jour du « Combat mondial pour Ayotzinapa », plusieurs milliers d’habitants de la ville ont manifesté pour protester contre la disparition des 43 étudiants.
À Chilpancingo, capitale de l’État du Guerrero et la ville la plus proche du lieu du massacre, mille personnes ont manifesté à l’appel d’une organisation enseignante.
(D’autres manifestations ont eu lieu à Puebla, Guadalajara, Toluca, Culiacan, Leon, Campeche, Zamora, Xalapa et Tenosique)
Peña Nieto et #YaMeCanse
Le Président Enrique Peña Nieto n’a pas fait grand-chose pour faire cesser la contestationet le mouvement qui a pourtant atteint des sommets. Il a au contraire excité la fureur des manifestants plusieurs jours avant le 20 novembre par des commentaires hargneux et menaçants. À peine rentré d’un voyage en Chine, mal perçu et largement médiatisé, dans le cadre du forum de l’ APEC, il a déclaré que le mouvement de contestation ne « visait qu’à créer de l’instabilité et du désordre social » et ne reflétait que ceux « qui refusent que la croissance de leur pays et veulent entraver son développement.»
En outre il a menacé d’être pratiquement contraint de recourir à la force publique pour réprimer les manifestants, qu’il a qualifiés de «quelques voix sans but bien défini et opposés au projet national de son gouvernement.» Ce reproche de n’avoir pas de but défini contredit la position politique claire et récurrente du mouvement, qui exige le retrait de Nieto, dont la présidence est de plus en plus critiquée. Dès le début du mouvement, sa cote de popularité avait atteint son point le plus bas depuis sa prise de fonctions en 2012.
Le « projet national » auquel se référait Nieto et un déferlement de « paquets de réformes » de très grande portée qu’on a fait passer en force et qui impliquaient 85 modifications de la Constitution. Il comprend entre autres d’importantes privatisations de l’industrie pétrolière nationale au profit d’intérêts étrangers ainsi que des modifications de lois sur la finance et l’éducation dans le sens souhaité par le monde des affaires.
Peña Nieto qui n’en est encore qu’au tiers de ses six ans de mandature, avait, un mois avant les élections de 2012, presque 10% d’intentions de vote de plus que son challenger. L’écart s’est fortement réduit à la suite d’un mouvement impulsé par des étudiants. (Une élection résultat fortement contestée. Nieto était le Président choisi par Washington et devait passer à tout prix. Voir aussi mes articles ici et ici. En outre le «projet national » est la preuve évidente que Nieto a été mis en place coûte que coûte par les USA. Einar Schlereth.)
Rien d’étonnant donc si cette la dernière édition d’un mouvement social de masse, plus important encore qu’en 2012, mais à nouveau conduit par des étudiants et des jeunes, a provoqué la colère du Président exaspéré.
Le Président a été pratiquement ignoré le 20, les projecteurs étant fixés sur le mouvement et la contestation politique. Seul l’avenir nous dira si #YaMeCanse peut contraindre Nieto à la démission et obtenir des changements fondamentaux d’un système politique ébranlé depuis longtemps par l’impunité dont jouissent les acteurs de la guerre contre la drogue et la collaboration entre l’État et les narcos. Pour le moment il ne fait aucun doute que la créativité et le combat inlassable du mouvement qui demande justice pour les 43 disparus attire de plus en plus l’attention du pays et même du monde.
Merci à teleSUR
Source: http://www.telesurtv.net/english/news/Global-Struggle-for-Ayotzinapa-Captures-Worlds-Attention-20141121-0020.html
Date de parution de l'article original: 21/11/2014
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=14001
source:http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=14001