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« LA PLACE LUMUMBA EST UN MOYEN DE LUTTER CONTRE CETTE AMNÉSIE COLLECTIVE CONSTRUITE ET VOULUE EN BELGIQUE »

COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE SUR PATRICE LUMUMBA DU 14 NOVEMBRE

Cette conférence consacrée au premier chef de gouvernement du Congo indépendant s’est déroulée à l’Horloge du Sud. Trois intervenants y ont pris la parole : Papa Mbungu, Pitcho Womba Konga et Kalvin Soiresse Njall. Chacun venant expliquer ce que cette figure majeure de la décolonisation signifie pour lui. La conférence fut également l’occasion d’officialiser la relance de la campagne en faveur de la création d’une place Lumumba à Ixelles.

Vers 20 heures, on peut affirmer que la salle est remplie. Quelques temps plus tard, Violette, du groupe intal-Congo prend la parole et présente l’organisation ainsi que notre groupe. Elle annonce aussi la reprise de la campagne en faveur de la création d’une place Lumumba derrière l’église Saint-Boniface à Ixelles et ajoute qu’intal-Congo veut se situer dans la lignée de la campagne précédente, dont l’un des initiateurs, Philip Buyck, est par ailleurs présent.

Papa Mbungu : « Un travail de réflexion sur le passé colonial est nécessaire »

Le premier à prendre la parole est Papa Mbungu, doyen de la diaspora et qui a personnellement connu le leader congolais. Il qualifie celui-ci de « symbole du nationalisme et du progressisme » ainsi que de « farouche opposant à la colonisation ». Il rappelle ce que le leader congolais avait affirmé à la sortie de la table ronde en 1960 : « Nous voulons que l’amitié entre Congo et Belgique soit durable et dégagée de toute forme d’hypocrisie. Nous voulons montrer que l’amitié entre les peuples n’est pas un vain mot ». Lumumba, en effet, entendait garantir la sécurité des Européens qui resteraient au Congo au lendemain de l’indépendance et souhaitait bénéficier de leur assistance technique. « Un travail de réflexion sur le passé colonial est nécessaire. C’est la raison pour laquelle je soutiens le projet d’une place Lumumba » ajoute l’intervenant.

Il se souvient aussi des discussions qu’il avait eues avec le leader congolais dans les bureaux du journal « Présence Congolaise » en 1958. « Lumumba est arrivé à Kinshasa en 1958. Nous étions dans le contexte de la rédaction du ‘Manifeste de la Conscience Africaine’, qui faisait suite au livre de Jef Van Bilsen ‘Plan de Trente ans’ pour l’indépendance du Congo. Il voulait lire beaucoup et fréquentait un groupe d’intellectuels. Il s’était rendu à l’Expo 58 et a eu des contacts avec d’autres Africains. Cela l’a amené à constater le retard des Congolais en matière de partis politiques. C’est ainsi que nous avons créé le MNC (Mouvement National Congolais). Lumumba en est vite devenu le leader car il était le plus dynamique ».

Viennent ensuite les questions. On évoque l’embargo intellectuel régnant en Belgique sur la réalité historique congolaise, la période de Lumumba à Stanleyville (Kisangani), ses relations avec les Européens, le maintien de relations inégalitaires via la mise sous tutelle du Congo par le FMI et les plans d’ajustement structurels de celui-ci, les scissions du MNC, le groupe de Binza, la commission Lumumba… A noter la présence dans la salle du fils d’un ministre de Lumumba, Masena Joachim, enlevé et tué en 1964, lors de ce qu’Antoine Gizenga a appelé « la guerre de reconquête coloniale ».

Pitcho Womba Konga : « Où se positionner comme humain ? »

Pitcho Womba Konga, artiste, prend ensuite la parole. Il soutient lui aussi le projet de place Lumumba. En outre, il présente un autre projet baptisé « Congolisation ». C’est un « festival culturel pluridisciplinaire qui se déroulera du 17 janvier au 17 février 2015 » et qui « se concentrera sur le thème du Congo et de sa Diaspora ».

Il affirme avoir redécouvert l’Afrique via la culture urbaine, en particulier le rap. Il ajoute que ce qui l’a marqué dans le parcours du leader congolais, c’est qu’il a cru dans des idées et qu’il s’est battu jusqu’au bout pour ces idées qu’il estimait justes. Il souligne aussi que Lumumba était soutenu par des Belges et combattu par des Congolais : « On est donc dans le domaine de l’humain. Où se positionner comme humain ? » .

Concernant le projet proprement dit, il affirme : « Il est clair que cette place a le droit d’exister car l’histoire belge et l’histoire congolaise sont liées. Mais il faut aller chercher des gens qui ne sont pas nécessairement ‘convertis’ ». Il évoque différents projets, comme celui de créer une place Lumumba itinérante.

Kalvin Soiresse Njall : « Lumumba est pour l’Afrique un deuil inachevé »

Vient ensuite Kalvin Soiresse Njall, écrivain et membre du Comité de Pilotage et du Secrétariat Permanent du collectif Mémoire Coloniale. Il soutient lui aussi le projet de place Lumumba et affirme qu’il faut préalablement comprendre la pensée politique du leader congolais avant de s’intéresser au mythe qui s’est bâti autour de lui. Après avoir projeté deux vidéos, l’une remettant Lumumba dans le contexte des bouleversements du Congo des années 50-60 et l’autre le replaçant dans le cadre du panafricanisme, il souligne qu’il y a deux Lumumba. Il y a d’abord celui de 1950 à 1958, « l’évolué », engoncé dans l’idéologie coloniale belge. Ensuite, il y a le Lumumba de 1958 à 1961, celui qui a compris comment fonctionne le système colonial et qui a opéré une révolution mentale.

Né en 1925 dans la province du Kasaï, ce jeune autodidacte n’a pas fait de grandes études universitaires, à la différence de Kwame Nkrumah et de Thomas Sankara. Mais il développe très tôt une conception nationale. Outre sa faculté de compréhension, il y a aussi ses talents d’orateur. Les Belges le voient comme un « colon noir » qui sera le garant de leurs intérêts, ce que sera plus tard Mobutu. Lié en un premier temps aux milieux libéraux, c’est avec l’aide de ceux-ci qu’il se rend en Belgique en 1955 et qu’il sera présenté au roi des Belges. Mais le futur Premier ministre du Congo indépendant va s’orienter dans une autre direction à partir de la conférence d’Accra en décembre 1958.

Sa pensée politique se structure alors autour d’une série de thèmes. Il y a d’abord l’unité du Congo. S’il est partisan d’une certaine décentralisation, il a conscience des pièges et des dangers d’une fédération immédiate, car cela servirait les projets des tribalistes. Ensuite vient l’unité de l’Afrique : c’est la seule manière pour les pays africains de se défendre efficacement face à l’impérialisme. Il y a également un antisexisme affirmé, qui préfigure la politique d’amélioration de la condition féminine menée par Thomas Sankara, et un antiracisme qui dément l’idée d’un Lumumba hostile aux Blancs. Sur le plan socio-économique, il élabore un Programme Populaire de Développement. Celui-ci implique une redistribution maximale et équitable des richesses. En outre, pour lui, ce ne sont pas les intellectuels qui vont développer le pays, mais les gens de la base, à condition qu’ils soient éduqués et formés. Il entend donc promouvoir un enseignement laïc. Concernant le capital étranger, il renonce aux nationalisations immédiates pour éviter l’affrontement direct avec les grands groupes qui l’attendent au tournant. De plus, les PME belges présentes au Congo peuvent continuer leurs activités si elles acceptent une fiscalité redistributrice.

Pourquoi Lumumba a-t-il été mis à mort ? Il a très vite compris comment fonctionnait le pouvoir international et affichait une volonté claire de défendre les intérêts des Congolais et des Africains. Il a refusé de jouer le gardien des intérêts belges et occidentaux, ce que fera plus tard Mobutu. Son destin tragique fait évidemment fort penser à celui de Sankara, trahi par Compaoré. La commission d’enquête a conclu à une « responsabilité morale » de Bruxelles dans l’assassinat, ce qui cadre avec la tradition bien belge du consensus mou. En outre, elle laisse plusieurs zones d’ombre : qui a demandé l’exécution du leader congolais ? Quel rôle a joué le palais royal ? Et la CIA ? Et Washington ? Et Paris ? Enfin, les conclusions ne sont à ce jour pas respectées, en particulier en ce qui concerne la création et le financement d’une fondation Lumumba. Cela a amené la famille à déposer une plainte contre des personnalités belges, parmi lesquelles Etienne Davignon.

« Lumumba est pour l’Afrique un deuil inachevé, dit-il. La place Lumumba est un moyen de lutter contre cette amnésie collective construite et voulue en Belgique. Elle peut participer d’un travail de mémoire jusqu’ici très peu présent. »

  • Tu veux en savoir plus sur intal ? La solidarité internationale t’intéresse ? Tu veux participer à notre mouvement ? Alors n’hésite pas à visiter notre site : http://www.intal.be/fr/home
  • Tu es ixellois et tu veux interpeller ton conseil communal sur la question de la place Lumumba ? Tu es bruxellois et tu veux signer et diffuser la pétition ? Ou tu souhaites simplement rester au courant des développements de notre campagne ? http://www.intal.be/fr/article/la-campagne-place-lumumba
  • La question des rapports Belgique-Congo te concerne ? Tu aspires à des relations plus égalitaires entre Bruxelles et Kinshasa ? Tu peux prendre contact avec le groupe intal-Congo aux adresses suivantes : congo@intal.be ougregorwell@hotmail.com

source:http://www.intal.be/fr/article/%C2%AB-la-place-lumumba-est-un-moyen-de-lutter-contre-cette-amnesie-collective-construite-et-voul

Tag(s) : #afrique, #europe

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