Opération "Mos Maiorum". Des moyens colossaux pour alimenter les fantasmes
Communiqué de Marie-Christine Vergiat, Députée européenne Front de Gauche
Alors qu'il y a quelques jours à peine, on commémorait la mémoire de 366 personnes mortes au large des côtes de Lampedusa il y a un an, une grande opération de contrôle des migrants a été lancée hier dans tous les États membres de l'Union et dans les États non membres qui participent à l'espace Schengen. La zone de contrôle va donc s’étendre sur les territoires de 32 pays (les 28 de l’UE plus 4 non membres de l’UE mais de l’espace Schengen) ainsi qu’en mer. Les zones de contrôle sont laissées à l’appréciation des participants: les eaux territoriales, les ports et aéroports, les frontières extérieures et intérieures de l’UE et de Schengen, les gares et les trains, les autoroutes, les transports en commun et la rue, les lieux de travail et les administrations, etc.
Cette opération qui doit durer jusqu'au 26 octobre a curieusement été intitulée "Mos Maiorum"[1]. Elle est pilotée par le Conseil de l'Union européenne[2], autrement dit les États membres, sans aucune consultation du Parlement européen. Le groupe GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/ Gauche verte nordique) a envoyé unelettre ouverte au Conseil "Justice et Affaires Intérieures" décrivant ses préoccupations et a déposé une question écrite demandant au Conseil des précisions sur cette opération.
L'opération Mos Maiorum sera coordonnée par les autorités italiennes qui assurent actuellement la Présidence semestrielle de l'Union et les agences européennes Europol et Frontex seront mises à contribution. Il s'agit, nous dit-on, d'intercepter et de collecter des données personnelles sur les détenteurs de faux documents, les demandeurs d'asile déboutés et les passeurs. Et pour cela d'arrêter et de contrôler des centaines de personnes.
Ce n'est pas la première fois que les États mettent en œuvre ce type d'opérations. Mais les moyens financiers et surtout techniques mis à disposition de ces opérations ne cessent de s'accroître. L'obsession est de ficher les migrants qui vivent sur le territoire de l'Union afin de mieux pouvoir les renvoyer de là où ils sont venus (vers les pays d'entrée dans l'UE, les pays de transit ou les pays d'origine) et les empêcher de revenir.
À travers de telles opérations, les gouvernements européens nourrissent le fantasme d'une invasion des migrants en Europe et alimentent celui d'un lien direct entre migration, criminalité et de plus en plus terrorisme.
Qui seront les migrants contrôlés ? Comment seront ils choisis ? Les autorités italiennes refusent pour le moment de répondre à ces questions.
Les migrants dits "irréguliers" sont des boucs émissaires faciles. Ils ne sont pas des criminels. La plupart d'entre eux, fuient la misère et surtout les situations de conflits qui se multiplient en Afrique, au Proche et au Moyen Orient. Ils cherchent refuge en Europe mais, en réalité, seule une faible part d'entre eux obtient une protection (un peu plus de 100 000 Syriens ont obtenu le statut de réfugié dans l'Union européenne depuis 2011 à comparer aux 3,5 millions qui se sont réfugiés dans les pays voisins).
En renforçant sans cesse et uniquement la forteresse Europe, l'Union européenne et ses États membres font de fait le jeu des réseaux mafieux et criminels. Ils contraignent les migrants à prendre de plus en plus de risques et font de l'Europe la zone la plus dangereuse du monde pour les migrants en situation irrégulière. Comme vient de le dire l'OIM[3] : rejoindre l'Europe "a coûté la vie à plus de 3 000 migrants depuis le début de cette année".
Les moyens utilisés dans le cadre de Mos Maiorum seraient mieux utilisés dans le cadre du sauvetage en mer réclamés par l'Italie pour poursuivre l'opération Mare Nostrum.
Il est plus que temps que l'Union européenne prenne conscience de ses responsabilités et travaille à développer des voies légales d'immigration et à assurer la protection d'hommes et de plus en plus de femmes et d'enfants en danger.
[1] Du latin « mœurs des anciens » ou « coutumes des ancêtres » : Mos Maiorum désigne dans la Rome antique le mode de vie et le système des valeurs ancestrales. Le nom « Mos Majorum » en dit long sur la philosophie qui sous-tend cette opération : Ses cinq fondements sont : fides : fidélité, respect de la parole donnée, loyauté, foi ; pietas : piété, dévotion, patriotisme, devoir ; majestas : sentiment de supériorité naturelle d’appartenance à un peuple élu ; virtus : qualité propre au citoyen romain, courage, activité politique ; gravitas : ensemble des règles de conduite du Romain traditionnel, respect de la tradition, sérieux, dignité, autorité.
[2] Conseil de l'Union européenne, doc. 16825/10ENFOPOL 343 JAI 995 COSI 76
[3] Organisation Internationale des migrations, 29 septembre 2017, : Fatal Journeys : Tracking Lives Lost During Migration