Député à l’Assemblée nationale constituante, Samir Taïeb a pris la tête, le 22 juin dernier, du parti progressiste Al Massar (la Voie démocratique et sociale), succédant à Ahmed Brahim. Opposant résolu au gouvernement de la troïka dominé par Ennahdha, il avait suspendu sa participation aux travaux parlementaires à l’été 2013, en soutien à la mobilisation populaire qui a finalement contraint les islamistes à lâcher les rênes du pouvoir. Retour sur les enjeux des prochaines élections législatives et présidentielle, auxquelles les forces démocratiques se présenteront en ordre dispersé.
Comment appréhendez-vous la séquence électorale qui s’ouvre en Tunisie, avec les élections législatives et présidentielle de l’automne prochain ?
Samir Taïeb : C’est la grande inconnue. Nous consacrons beaucoup d’énergie à tenter d’unir les forces démocratiques, ce que nous avions réussi à faire pendant l’été 2013 avec les sit-in du Bardo. Grâce à l’union, nous avons alors obtenu le départ du gouvernement dirigé par Ennahdha, l’adoption de la Constitution et l’ouverture du dialogue national. Aujourd’hui c’est plus difficile. L’approche des élections entrave les dynamiques unitaires.
Quelles divergences font obstacle à l’union du camp démocratique ?
Samir Taïeb : Plus que des divergences de fond, nous nous heurtons à des préoccupations électoralistes et à des considérations partisanes. Ceux qui travaillaient ensemble hier pourraient travailler ensemble aujourd’hui.
Le climat social est toujours très tendu. Comment expliquer qu’aucune réponse n’ait été apportée au chômage, à la pauvreté, à la marginalisation des régions, plus de trois ans après la révolution ?
Samir Taïeb : Il n’y a eu de ce point de vue, ni clairvoyance ni volonté politique de la part des gouvernements successifs. Cette révolution est venue pour libérer les régions défavorisées, les populations les plus démunies, la jeunesse, les femmes. Or depuis trois ans, rien n’a été entrepris pour satisfaire ces demandes sociales et réduire les inégalités entre la côte et les régions de l’intérieur. Il n’y a pas eu le moindre coup de pioche, pas le moindre chantier dans ces régions. Les infrastructures, les routes y sont délabrées. C’est lamentable lorsqu’on sait que ces régions ne bénéficient d’aucun investissement. Rien n’a changé. D’où le mécontentement des populations.
Cette pauvreté, ce sentiment d’exclusion sont le terreau de la violence et de l’extrémisme religieux…
Samir Taïeb : C’est certain. C’est dans ces régions défavorisées que recrutent les groupes islamistes armés, à Kasserine, à Sidi Bouzid, plus au sud à Gafsa ou encore sur la frontière tuniso-libyenne. Ce phénomène terroriste, s’il prend de l’ampleur, peut menacer la cohésion nationale et déstabiliser l’Etat.
Quelle stratégie pourrait faire reculer ce phénomène de l’islamisme armé ?
Samir Taïeb : Il faudrait un consensus national. Ces terroristes veulent faire de la Tunisie une plate forme pour attaquer tous les Etats de la région, Algérie, Libye, Mali, etc. C’est très dangereux. Nous avons besoin d’une meilleure coordination des forces de sécurité, à l’échelle nationale, mais surtout à l’échelle régionale, avec nos voisins.
Ne craignez vous pas une marginalisation des forces progressistes, avec la bipolarisation qui se dessine autour du camp islamiste et de Nida Tunes, l’Appel pour la Tunisie, emmené par l’ancien premier ministre Béji Caïd Sebsi ?
Samir Taïeb : Il ne faut rien exclure, ni la bipolarisation ni même les accords tacites de partage du pouvoir entre ces deux pôles. Tout est possible. Mais il existe, aujourd’hui en Tunisie, un espace réel pour la gauche démocratique.
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