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L'Union des femmes de Martinique fête 70 ans de solidarité féminine

Le 11 juin 1944, alors qu'elles venaient d'obtenir le droit de vote, un groupe de femmes de toutes les origines sociales fondait la première association féministe : l'Union des femmes de la Martinique. L'engagement de quelques-unes se confondait avec leur militantisme au sein du Parti communiste, mais la priorité de leur combat demeurait la défense de la femme dans la vie de tous les jours. A cette occasion, nous publions le premier volet de trois dossiers consacrés à l'une des causes majeures de notre époque : l'engagement au service de la femme.

Yvette Ebion : parcours d'une féministe de l'Algérie à la Martinique

Son bac en poche en 1962, dans le cadre des actions des jeunesses communistes, elle part faire de l'alphabétisation en Kabylie. Six ans plus tard, elle s'engage à l'Union des femmes de la Martinique.

Elle a l'engagement dans le sang, comme d'autres la foi dans le coeur. Du haut de son 1, 72m, elle a l'élégance des personnes qui ont la main toujours tendue vers l'autre. Rien, à première vue ne dévoile ses origines pyrénéennes : Yvette Ebion serait facilement confondue avec une Méditerranéenne. Et pourquoi pas une Caribéenne, l'autre Méditerranée.

Sa voix est aussi singulière que sa personnalité est rayonnante. Elle a vu le jour à Séméac dans les Pyrénées, terre ouvrière dont elle tire un double héritage : la défense de la République par l'enseignement laïque et l'engagement politique au service de la femme. « Je suis née dans le féminisme » , dit-elle comme une évidence. La prédestination.

Mais c'est à l'extérieur de son terroir qu'Yvette Ebion, née Cardeilhac, va mener ses luttes militantes. L'Algérie est sa terre de baptême politique, la Martinique son terrain de lutte. Ces deux patries, filles de la France (la cadette et l'aînée dans l'ordre de la colonisation seront ses terres d'action. Elle rejoint Dra el Mizan, localité qui fut un des terreaux de la guerre d'indépendance pour assurer l'alphabétisation des femmes combattantes du FLN... « Une expérience grandiose » , résume-t-elle à propos de ces femmes qui ont brûlé leur voile au stade d'Alger et offert leurs bijoux pour soutenir l'Algérie indépendante.

« Dès l'indépendance acquise, les nouvelles autorités m'ont fait signer un papier dans lequel je m'engage à ne pas faire de la politique » , se souvient-elle.

Institutrice, puis professeure de collège, elle rencontre celui qui deviendra son mari Roger Ebion, un jeune VAT au collège de Béni-Yéni.

Roger et Yvette Ebion mariés en 1966 au consulat de Tizi-Ouzou quitte l'Algérie deux ans plus tard avec leur première fille, Sarah née en 1967.

« J'AI FAIT LE TAMPON ENTRE L'ANCIENNE ET LA NOUVELLE GÉNÉRATION »

Yvette enseigne au collège Cassien-Sainte-Claire à Fort-de-France, puis deux ans à Saint-Joseph, à Sainte-Luce (6ans) et enfin à Rivière-Pilote de 1977 à son départ à la retraite en 2002. Roger, lui, fera l'essentiel de son parcours au collège de Rivière-Pilote.

Le Parti Communiste Martiniquais sera la terre d'accueil du couple. Yvette Ebion y rencontre Solange Fitte-Duval, alors présidente de l'Union des femmes et Yvette Mauvois, membre fondatrice de l'association en 1944. L'une incarne la militante politique qui suit la ligne historique du PCM, basée sur la fidélité, alors qu'Yvette Mauvois va surtout militer pour la conquête des droits sociaux. Cependant chez ces deux grandes figures du féminisme martiniquais, la priorité a toujours porté sur la lutte des femmes. « Le gros du travail portait en 1968 sur l'accès à la contraception et le droit à l'avortement afin que la femme soit maîtresse de son corps » , rappelle-t-elle. Elle installe le comité des femmes de Sainte-Luce (1971) et celui de Rivière-Pilote (1972). Sainte-Luce où, jusqu'à ce jour, des réunions se tiennent tous les 4e dimanche du mois pour débattre des questions sociales, culturelles ou politiques. Ce travail de proximité la conduit à la tête de l'Union des femmes de 1993 à 1997, succédant ainsi à Solange Fitte-Duval. « J'ai fait le tampon entre l'ancienne génération (Solange, Yvette Mauvois, André Gottin, Marie Concy, Marie-Thérèse Chalonec, Henriette Modestin) et la nouvelle, George Arnault et Rita Bonheur. Ma génération, Juliette Lordinot et Lucienne Bravo au Lamentin, Victoire Jean-Baptiste au Morne Rouge, Paulette Lagier au François, Léonie Nattes au Saint-Esprit, Marie-Michelle Toussaint à Fort-de-France a ravivé le militantisme dans beaucoup de communes de la Martinique, incitant les femmes à prendre des responsabilités citoyennes : associations de parents d'élèves, activités syndicales, participation aux conseils municipaux... etc. mais aussi le droit aux loisirs. La solidarité était le ciment de nos actions. »

Yvette Ebion à côté de son mentor Solange Fitt-Duval au cours d'un hommage rendu à cette dernière par la bibliothèque Schoelcher en 2008. (Alfred Céphise et DR.)

A sa retraite professionnelle en 2002, Yvette Ebion, mère de trois enfants, prend la direction de Rosanie Soleil, le centre d'hébergement des femmes victimes des violences conjugales.

Elle a refusé toutes les décorations qui lui ont été proposées et l'unique sujet qu'elle brandit comme étant sa plus grande fierté, sont les biographies qu'elle a écrites sur Yvette Mauvois, Solange Fitte-duval (son mentor disparu en mars dernier), André Gottin, Henriette Modestin, Léonie Nattes, ainsi qu'un historique de l'Union des Femmes de la Martinique.

Droit de vote et engagement

Les discussions eurent lieu entre les femmes au cours du mois d'avril, soit quelques jours seulement après le premier vote des femmes en France. Quelques jours après dans la foulée de l'arrivée des communistes à la mairie de Fort-de-France, le journal Justice annonça la 1re assemblée générale constitutive de l'Union des femmes de la Martinique pour le 11 juin 1944. La nouvelle association ne se voulait pas une organisation de femmes communistes mais ouverte à toutes.

Jane Léro eut l'immédiate responsabilité de cette organisation tout en s'affirmant comme une militante active dans le parti communiste se reconstituant à la Martinique. Le puissant mouvement féministe voit le jour avec, à sa tête, Jeanne Léro, Yvette Mauvois, Rosette Eugène, Désirée Maurice Huygues-Beaufond, Eudora Montredon-Clovis...

Elles ont présidé l'UFM

1945 : Jane Lero. Elle naît le 8 février 1916 au Lamentin. Elle crée les comités de l'Ermitage et des Terres Sainville. Elle meurt tragiquement le 17 Juillet 1961.

1950 : Genevieve Marie-Angélique. Elle est née le 19 avril 1903 à Fort-de-France. Membre des sociétés mutualistes « La lumière de l'Ermitage » et « Ouvriers mixtes de Fort-de-France » , elle est décédée le 21 août 1964 à Fort de France.

1960 : Renée de Montaigne. Militante active d'un comité pour la paix avant d'entrer à l'UFM, elle accepte la présidence de l'UFM de 1960 à 1970, à un moment difficile de la vie de l'association. Elle est couturière.

1973 à 1993 : Solange Fitte-Duval. Née le 25 août 1921 à Fort-de-France. Elle est co-fondatrice du Comité de Saint-Esprit de l'Union des Femmes puis présidente de l'UFM qu'elle anime avec vitalité de 1973 à 1993. Elle est décédée le 28 mars 2014.

1993 à 1997 : Yvette Ebion. Yvette Cardeilhac épouse Ebion est née le 16 avril 1942. Elle crée en 1972 les comités de Sainte-Luce et de Rivière Pilote (voir ci-dessous son portrait.

1997 à 2009 : George Arnauld. Née le 6 mars 1953 au François. Conseillère d'orientation, elle s'occupe en 1990 d'une mission relative « à la diversification des choix professionnels des filles » .

Depuis 2009 : Rita Bonheur. Née le 7 janvier 1958 à Fort-de-France. Elle rejoint l'UFM en 1983, au Comité de Fort-de-France, dont elle deviendra dirigeante. Membre du comité directeur, puis vice-présidente de 1997 à 2009.

Et Césaire lança le défi

Quelques jours après son élection en 1946, Aimé Césaire prononçait un discours dans le cadre de la remise des prix aux filles du Pensionnat colonial.

« Et maintenant, Mesdemoiselles, vous comprenez que je n'avais pas tort de dire tout à l'heure que nous avons partie, en quelque sorte, liée ; que nous sommes passibles de la même justice, qu'au tribunal du monde nous sommes redevables des mêmes responsabilités, et que dans la grande embauche de l'oeuvre universelle nous sommes bénéficiaires des mêmes qualifications... Alors je dis qu'il faut refaire le monde. Il faut que l'architecte rebâtisse la maison. Il faut que le citoyen rebâtisse la cité, il faut que l'homme politique rebâtisse l'Etat. Ni la main ne doit être lasse, ni la pensée ne doit cesser de fournir. Bloc sur bloc, moellon sur moellon, il faut faire jaillir du sol et lancer dans les airs un nouvel édifice qui témoigne pour l'humanité... »

Tag(s) : #amérique latine, #femmes

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