![Grèce: analyse des résultats de SYRIZA et du KKE, une victoire à nuancer pour SYRIZA](https://image.over-blog.com/yoaa3A2ihh3pZC-RDLAc9zjGyaQ=/fit-in/300x300/filters:no_upscale()/image%2F1031403%2F20140611%2Fob_8eb21e_syriza-grece.jpg)
Au niveau européen, les leçons à tirer des élections sont contrastées pour les forces de la gauche radicale. Il n’y a guère qu’en Grèce que Syriza s’affirme comme le premier parti politique, porteur d’une réelle alternative. Le résultat des élections européennes, mais aussi régionales et municipales y est incontestablement un succès mais il ne fait qu’ouvrir une nouvelle période politique dans laquelle les tâches de construction du mouvement social sont immenses. Ensemble s’entretient avec Stathis Kouvelakis.
Comment analyses-tu les résultats de Syriza ?
Ce qui est remarquable, c’est que Syriza réussit à préserver ses forces et recueille le même résultat qu’en juin 2012, dans un contexte de fragmentation très important. Les partis non représentés au Parlement européen ni au Parlement national recueillant 15% des voix. Mais il faut regarder les résultats de Syriza et des autres forces de la gauche radicale avec soin, dans la région significative d’Athènes et du Pirée, par exemple. La baisse de Syriza dans les quartiers ouvriers n’est pas compensée par la progression du Parti Communiste Grec (KKE), de l’ordre de 2%. En revanche, dans les quartiers « intermédiaires », la stabilité, ou la légère baisse, de Syriza est plus que compensée par la progression du KKE, également de l’ordre de 2 à 3%. Dans les quartiers de classes moyennes et supérieures, le pourcentage du KKE, bien que situé à des niveaux faible (de 2,8 à 5,6%), progresse d’au moins 1%. On peut alors constater que l’influence électorale de la Gauche radicale progresse légèrement, uniquement dans les quartiers de la petite, moyenne et grande bourgeoisie. La conclusion provisoire est donc la suivante : le manque de dynamique de la gauche radicale dans la région la plus décisive du pays, où vit 40% de la population et la majorité du salariat, est essentiellement dû au repli de Syriza, péniblement compensé par la progression du KKE. Ce repli est certes modéré mais il traduit une tendance à l’atténuation du profil « classiste » du vote très polarisé socialement de juin 2012. En deux ans, Syriza tend à se stabiliser dans les zones où dominent les catégories sociales intermédiaires, il progresse légèrement dans les communes où résident des classes moyennes-supérieures mais il régresse dans les zones ouvrières et populaires, où il perd entre 10 et 15% en pourcentage. En même temps, on note que Syriza stagne dans les zones urbaines et progresse dans les zones rurales. Syriza n’a pas réussi à créer une dynamique dans les classes populaires, dans le salariat urbain, dans les quartiers ouvriers, là où se trouve l’essentiel de sa force sociale et électorale. Les résultats des régionales et des municipales montrent une insuffisance de l’implantation locale du parti et du travail dans les syndicats et dans le mouvement social. L’exemple du vote des étudiants est frappant : selon les sondages sorties des urnes, Syriza à recueilli 40% du vote des étudiants contre 4 à 5% pour le KKE, mais dans les élections étudiantes, qui connaissent une grande participation, les listes présentées par Syriza ont à peine recueillies 7% des voix, soit deux fois moins que l’extrême gauche et trois fois moins que le KKE.
Peut-on dire qu’il y a un sursis pour la coalition gouvernementale ?
A l’évidence, les forces pro gouvernementales ont reçu un coup, elles ont perdu une grande partie de leur forces et de leur cohérence, mais ce coup n’a pas été suffisant pour les contraindre à aller vers de nouvelles élections législatives rapidement. Malgré les 4 points d’avance de Syriza sur la Nouvelle Démocratie, il a manqué cet élément de basculement décisif qui aurait permis de renverser la table. La coalition est déstabilisée, mais bénéficie d’une petite prolongation qui lui permet de manœuvrer pour surmonter ce qui est un réel échec électoral. Par exemple, tout sera fait pour tenter de rassembler une majorité qualifiée de 186 députés pour élire en mars prochain le Président de la République et, ainsi, éviter des élections anticipées. De plus , les députés des forces qui soutiennent le gouvernement feront tout pour éviter de nouvelles élections qui les désigneraient comme les syndics de faillite de la Grèce. Syriza se retrouve devant un problème qu’il connaît depuis 2012 : face à un gouvernement fragile, il n’a pas trouvé le moyen de le renverser. La voie électorale a été testée, elle a donné des résultats incontestables, mais insuffisants pour obtenir un débouché immédiat, et il n’y a pas de mobilisations de masse importantes depuis la fin de l’hiver 2012, après les deux pics de mobilisation lors de la fermeture de la télévision publique et du meurtre de Pavlos Fissas par les nervis d’Aube Dorée. Il y a un immense traumatisme social, les effets dévastateurs du chômage et le climat de terreur, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, où des milliers de fonctionnaires ressentent l’épée de Damoclès des possibles suppressions de postes. Tout cela favorise une certaine résignation dans la société et une tendance incontestable à la délégation au niveau politique.
Quelle est la place d’Aube Dorée dans cette situation ?
Aube Dorée figure certainement parmi les gagnants du dernier scrutin. L’analyse précise des votes montre qu’Aube Dorée connaît sa plus forte progression dans les quartiers de classe moyenne et supérieure, même si elle connaît ses scores les plus élevés dans des zones plus populaires. Cela montre qu’elle a la capacité d’élargir son audience et son assise, malgré l’extrême radicalisme de son discours et de ses pratiques, alors même que la ,plus grande partie de sa direction est en prison. Aube Dorée apparaît clairement comme une solution « anti-système » aux yeux d’une partie de la population et capitalise sur la xénophobie, le racisme et le nationalisme. Aujourd’hui, malgré le fait que l’Etat ait été forcé de réagir et de réprimer après le meurtre de Pavlos Fissas, sous peine de perdre tout contrôle de la situation, il existe un rapport de tension et de complémentarité entre Aube Dorée et la Nouvelle Démocratie qui ne cesse de se radicaliser à droite. Des secteurs du parti lorgnent clairement vers une sorte de convergence de fait avec Aube Dorée. La montée de la gauche radicale, aux portes du pouvoir, suscite une polarisation très forte, les secteurs centraux de l’Etat et les classes dominantes commencent à réfléchir sérieusement à des solutions d’exception dans lesquelles Aube Dorée jouerait un rôle important. Et ce sera encore plus le cas quand Syriza accèdera à des fonctions gouvernementales.
Quelles tâches pour Syriza ?
Syriza se trouve face à un problème classique des partis de la gauche radicale aux portes du pouvoir : le système s’unifie dans sa tentative de leur faire barrage par tous les moyens, la stratégie de la tension en Italie dans les années 70, par exemple. Face à cela, il existe, dans la gauche radicale, comme dans la tradition communiste, dont Syriza finalement est pour l’essentiel issu, une sorte de tropisme à trouver, pour éviter d’être isolée des solutions d’entente avec les secteurs modérés du système, des solutions de type compromis historique en Italie. L’expérience nous montre que ces solutions se heurtent à un double problème : le cœur de l’appareil d’Etat et des classes dominantes n’est absolument pas disposé à céder et cherche, par tous les moyens, à briser l’épine dorsale de ces forces ascendantes, et, d’autre part, le choix de ces stratégies provoque des ruptures fatales entre ces forces et leur base sociale. Le risque est alors de perdre des deux côtés. Face à cela, il y a un débat interne dans Syriza et les forces de la plate-forme de gauche au sein de Syriza proposent une « nouvelle radicalisation » qui n’est pas simplement une clarification au niveau programmatique ou au niveau du discours. C’est avant tout au niveau des pratiques, du type d’organisation qui est construite et du lien avec la société, sur la base d’une orientation qui vise à activer les forces sociales. C’est nécessaire pour obtenir une issue rapide et créer la dynamique nécessaire à la fois à une victoire électorale, mais plus encore quand un futur gouvernement de Syriza commencera à appliquer son programme. Il rentrera alors dans une confrontation de très grande ampleur, tant au niveau national qu’international. Il faut faire passer l’idée que nous sommes face à une épreuve de force et qu’il faut s’ y préparer. Il faut préparer à la fois l’organisation elle-même, mais plus largement la société, les couches sociales que Syriza représente pour les structurer, les organiser et leur donner les moyens de peser sur ce qui va advenir. Par exemple, en relançant les assemblées ouvertes de Syriza, dans les quartiers, devant toute la population, qui ont été expérimentées dans la période 2011-2012 et qui permettaient de dépasser les questions de l’organisation elle-même et de faire le lien avec les campagnes et luttes locales, dans une perspective de mobilisation. La leçon essentielle des européennes, c’est que dans les deux pays où il y a eu une percée significative de la gauche radicale, l’Espagne et la Grèce, c’est là où a pu être trouvée une articulation entre des mobilisations sociales importantes et l’émergence de forces politiques portant une alternative. Le doublet Podemos- Syriza est porteur d’avenir.
Propos recueillis par Mathieu Dargel.
SOURCE: https://www.ensemble-fdg.org/content/grce-un-succs-consolider