DÉCRYPTAGE
Béla Biszku, 92 ans, a été condamné à cinq ans et demi de prison pour sa responsabilité lors des tueries en 1956. Un procès qui n'est pas sans arrière-pensée.
Un ancien haut responsable du Parti communiste hongrois, Béla Biszku, 92 ans, a été condamné à cinq ans et demi de prison pour crimes de guerre commis durant la répression du soulèvement de 1956. C’est le premier procès d’un ancien dirigeant communiste depuis la chute du socialisme en Hongrie, en 1990. Le parquet avait requis la prison à vie. Béla Biszku a fait appel de ce jugement en première instance. Qui est cet ancien apparatchik, pourquoi un procès aussi tardif ? Décryptage.
Biszku est un ouvrier serrurier entré à l’âge de 23 ans en 1944 au Parti communiste hongrois où il fait rapidement carrière. Après la révolution de 1956, écrasée dans le sang par les chars soviétiques, Moscou installe le Hongrois János Kádár au pouvoir. Béla Biszku est alors membre d’une commission du Parti et supervise le conseil militaire qui donne l’ordre d’ouvrir le feu sur des civils lors de manifestations à Budapest, le 6 décembre (4 morts), et à Salgotarjan (nord du pays) le 8 décembre (46 morts). Les victimes ne sont pas des insurgés en armes – ces derniers sont déjà arrêtés ou en fuite −, mais des civils qui protestent pacifiquement contre l’arrestation des chefs des «conseils ouvriers» de la révolution. Le gouvernement transitoire de Kádár est étroitement contrôlé par le pouvoir soviétique dont trois dirigeants − Malenkov, Aristov et Souslov − sont alors à Budapest. Biszku a donc été condamné pour sa «participation active» à «des crimes de guerre» et aussi pour avoir nié l’importance de ces crimes.
Plusieurs procès ont eu lieu dès la fin des années 90, mais seuls des commandants de police ou des officiers ont été condamnés (une quinzaine). Lors d’un procès, un des juges avait proposé d’inculper Béla Biszku, mais le procureur n’avait pas donné suite.
Ministre de l’intérieur de 1957 à 1961, Biszku a été ensuite vice-président du Conseil des ministres mais, ne s’entendant plus avec Kádár, il a été démis de ses fonctions en 1978. Puis il s'est retiré de la politique et est tombé dans l’oubli.
En 2009-2010, deux reporters d’un blog de droite retrouvent sa trace et l’interviewent pour un documentaire. Dans le film, Biszku déclare qu’il ne voit aucune raison de demander pardon. Imre Nagy, chef du gouvernement révolutionnaire exécuté en 1958, «a eu ce qu’il méritait», affirme-t-il. Les déclarations choquantes de cet homme resté un «dur» du Parti et qui montre si peu d’empathie font scandale.
Le parti d’extrême droite Jobbik est le premier à porter plainte pour «négation des crimes commis sous le communisme». Et ce, grâce à une nouvelle loi votée par la majorité de Viktor Orbán au printemps 2010 qui met sur le même plan la négation de la Shoah et celle des autres crimes, une idée commune à la droite et à l’extrême droite.
Puis, fin 2011, la droite d’Orbán adopte une loi qui autorise la sanction des crimes perpétrés sous la dictature communiste. Un texte superflu, car la Cour constitutionnelle avait déjà permis de telles poursuites en 1993, mais la loi surnommée «lex Biszku» sert à mettre en scène l’affaire. L’ancien dirigeant ne sera plus seulement accusé de déni, mais de participation à des crimes de guerre.
Non. Beaucoup sont décédés. Le gouvernement de droite se contente d’une rhétorique farouchement anticommuniste, qu’il a pu nourrir grâce au procès Biszku, opportunément organisé en période préélectorale. Inculpé en septembre 2013, l’homme est apparu pour une première audience le 18 mars 2014 – juste avant les élections législatives hongroises – et a rapidement été condamné en première instance le 13 mai, sans preuves directes de sa culpabilité. Les juges se sont basés sur les documents des historiens.
En revanche, la justice a été bien moins efficace vis-à-vis d’anciens criminels de guerre nazis. Sandor Képiro, accusé d’avoir ordonné en 1942 l’exécution de 36 victimes, notamment juives, a été acquitté en 2011 à l’âge de 97 ans. Quant au commandant László Csatáry, il a fallu attendre que deux journalistes anglais du Sunpublient un article retentissant sur l’homme qui vivait tranquillement à Budapest pour que la justice bouge. Elle avait pourtant été alertée par le centre Wiesenthal. Csatáry a finalement été arrêté en 2012 mais n’a été inculpé qu’un an plus tard pour sa participation à la déportation de plus de quinze mille Juifs vers le camp d’Auschwitz et pour des actes de torture. Il est mort avant d’être jugé, à 98 ans.
La révolution de 1956. Les combats de rue en Hongrie ont fait 2 500 morts côté hongrois, et entre 600 et 700 côté russe. 225 personnes ont été exécutées, et plus de 20.000 emprisonnées. (Source : Institut de recherche sur 1956 – 56’os Intézet).
Florence LA BRUYÈRE Budapest, correspondance
source: Libération, 14 mai