Quinze ans après sa mort, le 16 novembre 1997, le Parti communiste a rendu hommage, lundi, à Georges Marchais, l'ex-secrétaire général du PCF de 1972 à 1994. A cette occasion, Pierre Laurent, l'actuel dirigeant du parti, a salué un homme qui "a marqué d'une profonde empreinte l'histoire de notre parti et l'histoire de notre pays". Philippe Buton, historien, spécialiste du PCF à l'Institut d'histoire du temps présent, revient sur l'héritage de M. Marchais.
Que reste-t-il de l'héritage de Georges Marchais ?
Philippe Buton : Il ne reste pas grand-chose car c'est un héritage totalement contradictoire. Sur le plan de la force du parti, c'est l'apogée mais c'est aussi la période où tout se dégrade sans qu'on le voit. Les couleurs sont en train de s'effacer, la contre-société communiste est en train de s'écrouler. Et ça, Georges Marchais ne le voit pas ou mal.
Marchais, c'est aussi l'union de la gauche mais c'est l'union de la gauche aux conditions du PCF. Il faut que le parti dirige. Il est très orthodoxe sur la conception des alliances et sur la "centralité ouvrière", le fait que ce soit les ouvriers qui comptent. Mais il ne se rend pas compte que la classe ouvrière se délite. Concernant l'URSS, sur la période 1972 à 1977, Marchais va très loin, il est très conscient qu'il y a des pressions très fortes de l'Union soviétique et que la question de l'URSS va vraisemblablement opérer une scission dans le parti français. Avec [Jean] Kanapa et [Henri] Krasucki, il gère ça plutôt bien jusqu'en 1977.
Mais à cette date, il se fait dépasser par le PS : comment gérer une alliance qu'on ne dirige pas ? Est-ce qu'on va plus loin et qu'on accepte que la classe ouvrière est en train de progressivement disparaître comme pivot social ? Marchais pense - et il n'a pas tout à fait tort - que le PS est beaucoup mieux armé que lui pour conquérir ces nouvelles couches. Il hésite mais finalement il préfère la fidélité à l'URSS : il sait qu'il restera, que le parti pourra se maintenir jusqu'à ce que la conjoncture devienne meilleure. C'est un héritage tellement contradictoire que c'est un héritage impossible.
Est-ce que le PCF a réalisé un bilan critique de la période Marchais, notamment de sa fidélité à l'URSS ?
Philippe Buton : Tout ce que le parti voudrait, c'est faire table rase de son passé. Que ce soit le passé Georges Marchais ou le passé soviétique, il faut le supprimer. Le problème du PCF n'est plus de mener une réflexion scientifique sérieuse et approfondie. Son rapport à l'histoire est devenu un rapport d'amnésie : il faut arriver à faire croire que le Parti communiste français n'a plus grand-chose à voir avec le modèle bolchevique Dans cette optique, évidemment, Marchais, ça ne colle pas ! On peut parler de lui comme un des anciens dirigeants mais on ne va pas envisager les contradictions dans lesquelles il vivait. Le PCF voit plus d'inconvénients que d'avantages à entreprendre cet inventaire.
Pierre Laurent a l'ambition de renouveler le PCF. Est-ce que pour y parvenir les communistes n'auraient pas intérêt à entreprendre ce bilan critique ?
Philippe Buton : Faire le bilan critique du bolchevisme, ça veut dire rompre avec le bolchevisme et sa symbolique, donc avec le mot communisme. Ils peuvent le faire mais ils prennent le risque de devenir le PCI, le Parti communiste italien [qui s'est dissous en 1991].
Faire le pari d'un communisme critique, c'est un oxymore. Un bolchevisme à la française, je n'y crois pas. Ca ne peut se traduire que par l'amnésie. A noter tout de même que Georges Marchais, même s'il ne pouvait pas vraiment faire autrement, a donné l'autorisation de mettre les archives du PCF à la disposition des historiens. Ce qui monte aussi toutes ses contradictions : à la fin de sa vie, il a été capable de cette ouverture majeure.
On a souvent présenté Jean-Luc Mélenchon comme l'héritier de Georges Marchais. Est-ce justifié ?
Philippe Buton : Evidemment non. Jean-Luc Mélenchon a une formation trotskiste qui a laissé énormément de traces. Dans la mesure où le trotskisme est une sorte de 'parasite' du mouvement communiste orthodoxe, il y a évidemment un certain nombre de passerelles entre les deux hommes. Il y a une attitude, le sentiment d'avoir le sens de l'Histoire avec soi, un sens du peuple, celui de la symbolique. Tout ça fait partie d'une culture communiste commune.
Maintenant, ça fait un peu 'Canada Dry'. Il manque à Jean-Luc Mélenchon ce qui faisait vraiment la force de Marchais : même si c'était une classe ouvrière qui était en train de mourir, même si c'était un parti en train de s'effondrer, elle était encore là cette classe ouvrière et le parti aussi. Marchais, c'était une force réelle et pas de l'artifice. Avec Mélenchon, il reste un peu de ce décorum mais il n'a pas cette contre-société ouvrière derrière lui, pas plus qu'un parti de 600 000 militants.
source: blog le mond