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Publié le 01/06/2022 par PCF
À Davos, les affaires sont les affaires
« La liberté est plus importante que le libre-échange. » Ces mots sont ceux de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN ; ils ont été prononcés le 24 mai 2022 au Forum économique mondial qui se réunit tous les ans à Davos. L'ancien premier ministre norvégien, peut-être inspiré par Emmanuel Macron, a aussitôt ajouté sous forme de mauvais plagiat : « et la protection de nos valeurs est plus importante que le profit. »


Il sera toutefois bien question de valeurs (sonnantes), et non de principes (politiques), car n'imaginons pas qu'il s'agisse d'une prise de conscience quant à la responsabilité des accords de libre-échange dans l'explosion des inégalités, des injustices et de la pauvreté mondiales, ni celle des firmes multi- et transnationales dans l'épuisement des ressources et le saccage des écosystèmes, pas plus que celle des grands États exportateurs d'armements dans de sales guerres.

Y en a-t-il seulement de propres ? ont l'habitude de répliquer les vendeurs d'armes pour se donner bonne conscience puisque d'aucuns, la France notamment, ont fait ces dernières années de bonnes affaires dans le domaine avec le régime russe. Pour corriger cette faute, il suffirait désormais de s'en remettre à « la morale dans les relations internationales », selon un ministre allemand. La morale (occidentale), courante en diplomatie, se traduit systématiquement en un « deux poids-deux mesures » dans lequel la politique perd toute noblesse : trop nombreux sont les peuples, au Moyen-Orient ou en Afrique, qui en font la cruelle et désespérante expérience.

À Davos donc, c'est au chevet de la guerre en Ukraine que tous les beaux esprits se sont penchés, sans pour autant en appeler à la paix et à l'arrêt immédiat des hostilités. Au contraire, la recherche d'une réponse diplomatique et politique au conflit est aujourd'hui qualifiée d'« illusoire » ; l'objectif d'arracher une victoire militaire sur la Russie s'étant imposée depuis plusieurs semaines sous l'impulsion de l'administration Biden et à la faveur de pays, comme la Pologne, nourrissant des ambitions de revanche sur la puissance russe.

L'invité d'honneur de cette nouvelle édition était en effet le président ukrainien Volodymyr Zelensky, intervenant par visioconférence depuis Kiev, pour exhorter les participants, dirigeants politiques économiques de premier plan, à prendre des sanctions « maximales » contre la Russie et à cesser avec elle toute relation commerciale. Après avoir évoqué l'impact de la guerre sur les économies des pays dépendants du blé ukrainien - enjeu qui fait en réalité l'objet de tractations très discrètes entre Russes et Ukrainiens sous l'égide de l'ONU et de l'UE (Le Monde, 31 mai 2022) - et les risques de crise alimentaire dans le monde, V. Zelensky a aussi laissé entrevoir la récompense qu'un engagement armé actif ou, à défaut, un soutien militaire ou matériel plus nourri aux côtés de l'Ukraine pouvait laisser présager, dès à présent, en parts de marché dans la reconstruction des villes et infrastructures détruites par la guerre. « Davos » s'est alors transformée en célébration du camp des « démocraties », animé comme un seul homme par les pays occidentaux, ligué contre l'autocratie russe, comme si ce camp « démocrate » ne comptait pas d'autocrates émérites lui-même.

La rhétorique éculée de cette prétendue nouvelle ère d'affrontement du « bien contre le mal », bloc contre bloc, habille d'un vernis idéologique fragile la préoccupation essentielle des « décideurs », puissances occidentales et consorts.

La guerre issue de l'invasion de l'Ukraine, sur ordre de Vladimir Poutine à l'origine pour des raisons géopolitiques, se mue, sous l'effet de son internationalisation par l'implication des puissances occidentales, en enjeu économique international. Car, pour elles, l'arbre russe cache la forêt chinoise. Depuis quelques années, le reproche adressé à la Chine était d'être devenue l'« usine du monde » et d'aspirer en devenir le « pôle d'excellence technologique » à brève échéance.

Depuis la crise sanitaire, il est devenu impératif pour les puissances occidentales de mettre en échec la Chine devenue « un marché cher, (où) la main-d’œuvre n'y est plus si bon marché » (El Mundo, 3 avril) et dont le président en personne prêchait les vertus du libre-échange, ici même à Davos, en 2017 en opposition frontale à un Donald Trump, chantre du protectionnisme.

Le déclenchement puis la prolongation de la guerre en Ukraine, que tous prédisaient « courte », sont venus aggraver de façon aigüe le problème. Car avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, outre le problème de la dépendance commerciale en matière de blé, pétrole ou gaz, s'est immédiatement posée la question pratique des sanctions économiques, compliquée par l'interpénétration des intérêts capitalistes occidentaux et russes ou ukrainiens (voir l'Humanité magazine n°799, 24-30 mars 2022).

La crise du capitalisme mondialisé, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis puis la pandémie de Covid-19 avec la crise sanitaire mondiale qu'elle a engendrée « ont incité de nombreuses entreprises et de nombreux États à réexaminer les conséquences pour l'économie nationale de leurs dépendances commerciales », soulignait le Wall Street Journal, quelque deux mois avant la tenue du forum. La question est celle d'une évolution de la mondialisation capitaliste qui permette aux pays occidentaux de reprendre le leadership international tenant compte, rappelle The Economist avec raison, que « les autocraties (sic) ne forment pas un bloc économique soudé, mais (qu') elles veulent toutes s'affranchir de l'influence occidentale, aussi bien pour les nouvelles technologies que pour les réserves monétaires. »

Les discours et discussions de Davos ont donc été consacrés au défi d'une « reconfiguration de la mondialisation » - capitaliste. Les alternatives sont déjà connues : il y a ceux pour s'en réjouir : « la mondialisation (comprenez bien : capitaliste) ne va pas disparaître, elle va être plus régionalisée » (El Mundo, 3 avril 2022) ; ceux pour alerter : « Le temps de la belle entente commerciale et du libre-échange sans cesse plus libre, y compris avec ses adversaires, apparaît de plus en plus comme une aberration » (Wall Street Journal, déjà cité). Il y a aussi les apprentis dialecticiens. Ainsi The Economist, dans son édition du 19 mars, à ceux qui, « en Occident, (auraient) la tentation de privilégier les échanges avec les seuls alliés militaires, voire de défendre l'autosuffisance », il affirme : « Ce serait une erreur » et propose une solution plus simple : « En temps de guerre, la rupture des relations économiques a du sens. En temps de paix, l'objectif doit être de ne limiter les exportations vers les régimes illibéraux (sic) que pour les technologies les plus sensibles. » Autrement dit, renverser les rapports de dépendance énergétique, hautement stratégique, pour en devenir les maîtres absolus. Rien de bien révolutionnaire en soi - toute l'histoire du capitalisme en est tissée.
Ces débats, qui n'ont certes rien de nouveau, méritent néanmoins toute notre attention, d'abord pour les contradictions qu'ils mettent en lumière.

Affirmer, comme le fait un rédacteur d'El Mundo, que c'est avec la guerre en Ukraine que « la vision des années 1990 selon laquelle le libre-échange et la liberté iraient de pair » se serait « fracassée », c'est oublier bien vite les profondes interrogations soulevées sur le sens de nos sociétés avec la pandémie, la crise sanitaire et les mois de « nationalisme vaccinal » qui ont suivi.

C'est oublier les mouvements sociaux et politiques populaires d'Occupy Wall Street, des « printemps arabes » au mouvement récent au Chili qui vient d'enterrer la constitution héritée de Pinochet qui gravait le néolibéralisme dans le marbre au détriment des droits et libertés, précisément. Conquêtes sociales, droits, paix et démocratie constituent de plus en plus nettement la trame des mouvements populaires qui se lèvent dans différents contextes nationaux. La voix des peuples doit être entendue, elle doit s'imposer.

Les émeutes de la faim qui balaient le Sri Lanka et réprimées avec brutalité - dans une certaine indifférence des chancelleries occidentales - vont s'étendre en Asie, en Orient, en Afrique, en Amérique latine aussi peut-être. Qui peut prétendre sans cynisme que c'est la poursuite de la guerre en Ukraine, voire une victoire militaire de l'Ukraine ou de la Russie, qui résoudrait une crise alimentaire mondiale ? Personne évidemment. Même l'éditorialiste du Figaro daté de ce 31 mai répond à la question « Ukraine : quelle voie de sortie ? » en soulignant que le « jour où Russes et Ukrainiens accepteront de parlementer sur des dossiers techniques d'intérêt commun (exportations céréalières, gazoducs, etc.) une lumière apparaitra au bout du tunnel. »

La mondialisation n'est pas née avec le XXe siècle, ni avec le capitalisme industriel. Elle est un processus géo-historique de très longue durée, de plus cinq cents ans, une « construction dynamique, instable et conflictuelle », et le fruit de rapports de force. Elle est un terrain de lutte que les forces du travail et de la création tentent d'investir depuis peu, depuis Marx.

Chaque avancée sociale ou politique conquise au cours des deux derniers siècles est le fruit du mouvement populaire, singulièrement du mouvement ouvrier et paysan, dans le monde entier. Et parce que « nul ne peut prétendre que la dictature du capitalisme international a été solidement et durablement installée sur la mondialisation », comme rappelait Bertrand Badie dans son essai Nous ne sommes plus seuls au monde, tout processus d'émancipation de la mondialisation de la domination capitaliste est et sera le fruit des mobilisations sociales et de société.

La proposition des communistes de la tenue d'une conférence paneuropéenne extraordinaire avec pour ordre du jour la fin des combats en Ukraine, la définition d'une solution politique et le projet d'un cadre commun de coopération et de sécurité collective prévenant tout nouveau conflit est ambitieuse. Elle demande beaucoup de volonté et de travail ; elle implique une grande exigence démocratique et du temps sans doute mais elle n'est ni impossible ni naïve. Il s'agit bien de partir des intérêts communs pour fonder les bases d'une paix durable, d'une fraternité et solidarité entre les peuples. Il s'agit non de décréter par de beaux discours l'avènement d'un jour neuf mais d'agir pour enclencher des processus concrets de transformation produisant au fur et à mesure leurs effets.

C'est en devenant une proposition majoritaire portée par le plus grand nombre qu'elle aura une chance de devenir la proposition de la France au plus haut niveau de l'État. Cet objectif est réaliste, il est même indispensable pour le peuple ukrainien en premier lieu.

Ce n'est pas de « Davos » mais de l'engagement des peuples, des forces du travail et de la création, des forces de paix, de leur rassemblement, que les perspectives de paix en Ukraine et de sécurité (humaine) globale renaîtront.

Lydia Samarbakhsh
responsable des Relations internationales du PCF

source : https://www.pcf.fr/a_davos_les_affaires_sont_les_affaires

Tag(s) : #PCF

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