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Ana Maria Fernandez, psychanalyste argentine et spécialiste des actions politiques collectives et des modes de subjectivation qui s’y produisent, citant Spinoza, nous rappelle que les « passions tristes » sont indispensables au tyran pour l’exercice de son pouvoir. « Il a besoin que la tristesse règne parmi ses sujets. (...) La joie, par contre, sera la réalisation d'un pouvoir », celui que les maîtres du monde ont toujours tenté d'entraver chez ceux qu'ils prétendent dominer.
Ana Maria Fernandez nous avertit que « le désir, en tant que puissance productive, encourage à l'action, met les corps en action, invente ou imagine dans l’aspiration ou la recherche de ses réalisations. De cette façon, nous pouvons récupérer l'idée freudienne de la puissance du désir (...) pouvoir, puissance, joie des corporalités en action ».
Et je dis cela parce que, ces derniers temps, nous avons dénoncé le fait que l'entrée en jeu dans notre pays des réseaux sociaux sur Internet a favorisé l'avancée des mécanismes de guerre psychologique, ou en d'autres termes, les moyens de nous plonger dans le désespoir. Toutefois, nous ne saurions manquer d’analyser un autre fait tout aussi significatif : nous sommes témoins de l'émergence d'initiatives spontanées, jeunes et pas seulement jeunes, collectives, très puissantes, avec un signe idéologique d'identification avec la Révolution et le socialisme. Un fait qui mérite une attention particulière.
Même si le meeting, dénommé Tangana au parc Trillo à La Havane [29 novembre 2020], a été le plus visible en raison de son irruption dans l'espace public, il est symptomatique d'un processus social qui s’étend, celui des alliances politiques révolutionnaires, qui expriment le renouvellement du tissu politique révolutionnaire avec puissance et pouvoir de convocation, en contraste avec l'idée pessimiste de l'épuisement du sens de la Révolution.
Un fait significatif si nous considérons que la présence de jeunes dans ces collectifs et ces actions est importante. Même s’il existe des secteurs de la jeunesse cubaine qui ne sont liés à aucun espace de participation politique, nous ne pouvons pas généraliser, sans nuance, que la jeunesse cubaine est un bloc homogène, politiquement apathique ou contre le système.
Ces alliances se sont articulées à partir des réseaux sociaux, un territoire dans lequel toutes les institutions ne disposent pas de stratégies de travail, de leadership ou de protagonismes consolidés. Parfois, elles ont été formées précisément en réaction aux campagnes contre-révolutionnaires.
La recherche par les jeunes d'espaces alternatifs n'est pas un phénomène exclusif à Cuba. Dans d'autres contextes, ils explorent également de nouvelles formes d'expression et de participation. La particularité de Cuba est peut-être la possibilité réelle qu’il existe une articulation effective entre les institutions, les organisations et ces initiatives révolutionnaires émergentes dans la mesure où elles partagent des idéaux et des objectifs communs. Cette articulation peut se développer sur la base de la reconnaissance mutuelle, de l’écoute active et dans la création de mécanismes et de programmes de travail collaboratif, sans chercher à annuler leur singularité ou leur spontanéité.
Précisément, l'une des questions qui a le plus dérangé les médias contre-révolutionnaires à propos du meeting Tangana au parc Trillo a été son caractère spontané, que certains ont refusé de reconnaître, tandis que d'autres le présentaient comme une mobilisation institutionnelle. En somme, la contre-révolution n’a cessé de défendre la spontanéité comme la devise exclusive de tout ce qui s'oppose au système. Bien que nous puissions penser, à juste titre, qu'à ce stade, il n'est nullement spontané de suivre le scénario usé de la guerre non conventionnelle.
Ces nouvelles alliances pour la défense de notre pays ne se produisent pas en opposition à l'institutionnalité. Elles ne répondent pas à un programme dont l'objectif serait de frapper les institutions ou les organisations cubaines, et certains de leurs membres peuvent même en faire partie ou y occuper des postes de direction, bien que ce ne soit pas l'axe d'articulation avec le collectif émergent.
Elles rassemblent des personnes d'âges différents, remettant en question les logiques intergénérationnelles traditionnelles de distribution du pouvoir. J'ai eu l’occasion de voir des personnes adultes dirigées par la perspective de voix plus jeunes.
Les formes d’organisation pour fonctionner suivent des modèles intéressants d’horizontalité dans la prise de décision. Les leaderships émergent et s'échangent de manière dynamique ; les décisions se prennent de façon collégiale ou sont votées démocratiquement ; il n'y a pas de pression à la participation et les identités collectives et les processus d'identification se fédèrent autour d'intérêts communs.
On leur attribue une pensée anticapitaliste, anti-annexionniste, anti-impérialiste, anticoloniale, marxiste et révolutionnaire. Ils s'identifient aux causes des groupes historiquement bafoués par les structures de domination du capitalisme et dans ce sens ils souhaitent approfondir le caractère démocratique du socialisme cubain. Ils citent spontanément des auteurs marxistes et révolutionnaires. Des voix jeunes commencent à se faire entendre avec des récits propres aux féminismes décoloniaux et populaires, des discours antiracistes, en défense des droits de la communauté LGBTIQ+, en faveur de la justice et l'équité sociale et contre l’asservissement que l'impérialisme a imposé dans la région et dans les périphéries du monde.
Ils se distinguent d'autres acteurs qui s'expriment, embusqués derrière le langage de la « démocratie sans nom », et sont directement liés aux programmes contre-révolutionnaires visant le changement de régime.
La réflexion sur ces urgences politiques soulève de nombreuses questions auxquelles il m’est impossible de répondre dans ce texte. Je ne les citerai pas toutes. Mais parmi elles, je considère que les institutions et les organisations doivent être des espaces pour la construction collective de la prospérité et de l'espoir. Cela nous obligera à repenser les stratégies de communication dans un monde où les réseaux sociaux sont de plus en plus présents, mais où la rue, qui symbolise le sens même de la sphère publique, reste un espace à conquérir absolument.
Nous devons fermer la voie à la désidéologisation, sans faire de concessions au dogmatisme, développer une culture pour l’autocritique de nos pratiques quotidiennes, comprendre l'impact que les changements économiques ont sur les subjectivités, d'où l'importance d'un dialogue constant sur chaque processus en cours. Nous ne pouvons pas sous-estimer la façon dont nous nous représentons les changements, dont nous les vivons, dont nous en parlons ; nous devons cartographier les différences sociales et mettre en œuvre une politique sociale intégrée aux changements afin d'éliminer les conditions qui permettent la reproduction des inégalités.
Il nous faut mettre à jour les mécanismes de participation et de débat politique au niveau de la base dans nos institutions et nos organisations, promouvoir les connaissances nécessaires pour comprendre la société cubaine contemporaine de manière complexe et avoir une conscience claire des mécanismes utilisés dans la guerre médiatique et culturelle à laquelle nous sommes soumis . Être prêts au dialogue, en sachant qu'il existe un antagonisme irréductible aux termes de notre Constitution : l'abandon du socialisme, qui signifierait l'abandon des plus humbles.
Nous devons repenser nos récits et les reconnecter avec les imaginaires populaires, avec la sagesse de ce savoir forgé dans la chaleur d'une très longue histoire de luttes et de résistance, d'une vaste culture, d'une idiosyncrasie du « oui, c’est possible ! ». Des imaginaires forgés également dans le feu des besoins quotidiens, des préoccupations légitimes quant à l'avenir de la nation et du désir de poursuivre sur la voie tracée par nos héros il y a plus d'un siècle, la voie qui nous a conduits au socialisme, grâce auquel nous avons créé pour la première fois les conditions objectives et subjectives de plus grandes chances effectives pour tous. Et comme dirait le poète : « c’est en marchant que l’on fait le chemin ». Puissions-nous continuer à mettre à jour collectivement, à chaque pas, le consensus pour continuer à construire la souveraineté et le socialisme.
source : https://fr.granma.cu/cuba/2022-03-01/a-propos-des-nouvelles-alliances-politiques-un-salut-a-la-commune