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• Iginio vient à la barre. Il est vêtu de son uniforme de police bleu, il est jeune et plutôt menu, pourrait-on dire, mais lorsqu’il prend la parole, il le fait avec assurance, sans hésitation.
C’est le deuxième jour de l’audience de 33 accusés qui ont participé aux émeutes qui ont eu lieu le 11 juillet dernier dans les environs de la rue Toyo, dans la capitale, et tant le Parquet que la défense ont eu l’occasion de présenter les témoins qu’ils jugent nécessaires à la tenue de l’audience.
– Étiez-vous présent aux troubles qui ont eu lieu à l’angle de la rue Toyo ?
– Oui, il était environ 4h ou 5h de l’après-midi.
– Comment êtes-vous arrivé à cet endroit ?
– Dans la voiture de patrouille... J’étais accompagné de mon chauffeur, Yodianys Viera Avila.
– Vous souvenez-vous de l’endroit où vous avez garé le véhicule ?
– À l’angle même des rues Toyo et 10 de Octubre.
– Vers où vous êtes vous dirigé après avoir garé la voiture ?
– Vers l’avant, parce qu’ils attaquaient l’autre voiture qui se trouvait là, une Hyundaï, ils lui lançaient des pierres, si bien que nous sommes allés leur porter secours
– Y avait-il des agents de police tout près ?
– Non. Les deux agents étaient à l’intérieur du véhicule... c’est pourquoi je me suis approché, en tentant d’éloigner les personnes qui se trouvaient là, afin qu’ils puissent sortir de la voiture et venir avec nous.
– Pendant que vous agissiez, avez-vous été frappé par certaines de ces pierres ?
– Oui. L’une m’a touché au ventre et l’autre à la cheville.
Après avoir aidé ses compagnons, Iginio n’a pas pu remonter dans la voiture de patrouille 162. « Un nuage de pierres », selon ses propres mots, s’est abattu sur eux. C’est à ce moment-là, dit-il, qu’il a eu peur.
Alors qu’il parvenait à quitter les lieux, il a eu le temps de voir comment ces individus ouvraient les portières de la voiture de patrouille et commençaient à sortir ce qui était à l’intérieur. « Et là, ils se sont mis à cinq pour saisir le véhicule par le côté et le retourner », dit-il.
Parmi les objets volés, se trouvaient le générateur et le haut-parleur du véhicule, le téléphone portable de son chauffeur et 8 000 pesos qu’il gardait de son salaire pour acheter un téléphone.
Il s’appelle Iginio Castellano Cala, il n’a que 20 ans et il est le chef de la voiture de la Police nationale révolutionnaire.
***
Jorge Luis Gael Zamora, chef du secteur de La Güinera était également présent, lorsque les émeutes ont commencé à l’angle de la rue Toyo.
Ce jour-là, nous étions dans l’unité et on nous a donné l’ordre de nous rendre jusqu’au Café Colon, dans le quartier de la Vibora. Nous étions environ une quinzaine de compagnons et nous avons réalisé une sorte de cordon humain, car plusieurs personnes venaient de la municipalité de Mantilla, se déplaçant sur toute la chaussée, et nous voulions les empêcher de continuer à avancer jusqu’à la municipalité de 10 de Octubre.
– Mais bon, ce fut impossible. Ils nous ont criblé de pierres et nous avons dû nous séparer. Ils arrivaient pleins d’agressivité, jetant des pierres et des morceaux de bois, en vociférant... nous avons essayé de discuter avec eux, de les persuader, mais rien n’y a fait.
Ensuite, nous avons reçu l’ordre de nous diriger vers Toyo, dit-il. « Quand je suis arrivé, j’ai vu comment ils retournaient la voiture de patrouille, puis deux citoyens ont pris une grande poubelle, qu’ils ont jetée sur la voiture et ils sont montés dessus. »
« Et en plus des pierres, ils nous lançaient des tas d’insultes. J’ai même entendu crier : "Nous allons tuer tous les policiers, tous ces enc... !" » se souvient-il.
Ileana Maria Forcades Diaz, présidente de l’Assemblée municipale du Pouvoir populaire de la municipalité du Cerro, a également été témoin de la nature « pacifique » des agressions.

Nous étions à l’angle de la rue Toyo, devant la boulangerie, essayant de calmer la situation, d’entamer une conversation avec eux, mais c’était impossible, dit-elle. Ils n’entendaient pas raison et ils ont commencé à jeter des pierres, des bouteilles et des morceaux de bois.
Son fils, qui l’accompagnait, a reçu une pierre dans le dos.
Quand tout cela a commencé, nous avons dû nous retirer et, plus tard, lorsque nous sommes revenus chercher la voiture de l’Assemblée, une Lada rouge, avec laquelle nous étions sortis, elle avait été renversée, et les accessoires avaient été volés, dit-elle.
Il se peut que Jorge Luis et Ileana Maria ne se connaissent pas, peut-être que oui, mais au-delà de l’hypothèse, la vérité est que les deux ont assisté en tant que témoins d’un événement qui a non seulement porté atteinte à la tranquillité citoyenne, mais a aussi blessé et mis en danger la vie de plusieurs personnes, en plus d’endommager gravement les moyens et les biens de l’État.
Desiderio Sanchez Hernandez, chef du Conseil de la police de la municipalité 10 de Octubre, raconte au tribunal ce qu’il a vécu au cours de cette journée. Il se souvient que 30 autres personnes se trouvaient avec lui.
L’un des officiers qui l’accompagnait, a-t-il dit, a reçu plusieurs pierres sur les pieds. Il souffrait de problèmes de circulation du sang et il est récemment décédé d’une thrombose, dit-il.
– Étiez-vous armé ce jour-là ? demande le Procureur.
– Non, répond-il.
***
Le Parquet a présenté, au début de l’audience du procès, la synthèse des faits reprochés. Trois accusés, résume le rapport, sont partis le 11 juillet 2021 du cinéma de Mantilla, situé dans la municipalité d’Arroyo Naranjo, et ont commencé une manifestation dans le but d’aller jusqu’au Capitole et, au fur et à mesure qu’ils avançaient, d’autres personnes les ont rejoints, dont le reste des accusés.
Nous pourrions raconter de nouveau les faits. Parler des voitures de patrouille renversées ou des insultes offensantes et grossières qui ont été proférées ce jour-là contre les autorités, contre les dirigeants du pays, ou des agressions, des personnes qui ont été blessées, mais pour certains – ceux qui s’obstinent à voir une autre Cuba – cette histoire continuera d’être fausse, mal racontée, parce que, pour eux, oui, ce fut une manifestation pacifique et tout le reste, en bon cubain, n’est rien d’autre que des histoires.
Mais que se passe-t-il alors quand c’est l’un des participants aux événements qui vous raconte le vandalisme, la violence à laquelle ils ont participé, et vous affirme, en plus, qu’il n’a jamais été maltraité ?
– Que s’est-il passé les 11 et 12 juillet ?
– Une manifestation sans logique, car finalement nous sommes dans un pays socialiste, et je comprends qu’il n’y avait pas besoin d’autant d’agressivité, et encore moins dans un pays comme le nôtre... Il y a eu du vandalisme, du désordre, de tout, explique Ricardo Duque Solis, l’un des 33 accusés dans ce procès.
– Sur les réseaux sociaux, on avance l’opinion que vous, les accusés, avez été maltraités. Est-ce vrai?
– Eh bien, je me sens bien et reconnaissant pour le traitement que j’ai reçu, à la prison de Valle Grande où j’étais au début, et maintenant au Combinado del Este. Je souffre du cœur, et j’ai toujours été bien soigné.
– Avez-vous eu l’occasion d’avoir accès à votre avocat ?
– Oui. À trois reprises, j’ai pu le rencontrer et sans aucun problème. Je n’ai rien à redire à cet égard... J’ai fait une erreur en participant à cette manifestation, ce qui n’était pas mon but, mais je me suis laissé entraîné et je regrette vraiment tout ce qui s’est passé. Grâce à cette Révolution, je suis inspecteur d’État en hygiène et en épidémiologie et j’aimerais, si j’en ai l’occasion, retourner exercer ma profession, qui est la santé des gens.
– Alors, vous n’êtes pas d’accord avec la violence et le vandalisme qui se sont produits ce jour-là?
– Bien sûr que non. Ce fut une chose dénuée de sens, sans logique... Qui va faire tomber ce pays ?
Par ailleurs, Rowland Jesus Castillo Castro, âgé de 18 ans, reconnaît sa participation aux événements et dit qu’il se sent désolé. « Je ne sais pas dire ce qui m’est arrivé, je ne suis pas une personne violente. » Il souligne également que ses parents l’ont accompagné tout au long du procès et qu’il a toujours eu accès à son avocat.
« Je sais bien ce que j’ai fait et que je dois accepter la sentence qui sera dictée. » Cependant, il dit qu’il aimerait avoir une autre occasion de reprendre ses études et sa formation sportive, car avant les événements du 11 juillet, il pratiquait la lutte.
Yunaiky de la Caridad Linares Rodriguez nous raconte également ce qui s’est passé ce jour-là. « Je suis allé à une marche qui était censée être pacifique, mais soudain tout s’est rempli d’agressivité et ils ont commencé à jeter des pierres, à crier, et je me suis laissé entraîné. »
Les marches n’ont pas été pacifiques, dit-il, mais ce n’était pas mon intention. « Nous n’aurions jamais dû en arriver là, parce que la violence engendre plus de violence. J’espère que quelque chose de semblable ne se reproduira plus jamais, et je conseille aux jeunes de ne pas faire cette erreur que nous regrettons tant aujourd’hui. »
« Ces événements ont été des choses folles, beaucoup se sont laissés entraînés, sans avoir idée des conséquences pour eux, pour leurs familles. Je le dis à mon frère, qu’il n’aurait pas dû se mêler de ça », explique Vicente Borges Wilson, qui assiste à l’audience du procès en tant que membre de sa famille.
« Je pense que pour revendiquer des droits ou faire une manifestation, tout doit être pacifique. Parce que ce n’était pas un événement politique, mais du vandalisme, ils ont attaqué des jardins d’enfants, ils ont attaqué des gens, ils ont attaqué des magasins..., cela n’a rien à voir avec une politique déterminée, ni avec des changements politiques dans un pays, c’est du vandalisme », dit-il.
Je l’ai vu plusieurs fois au centre pénitenciaire, nous dit-il. « Nous avons discuté et il dit chaque fois qu’il est bien traité. Plus encore, je l’ai interrogé sur son alimentation et il me dit : la nourriture n’est pas très bonne, mais ils nous en donnent assez. »
***
Il s’agit de simulacres de procès, les garanties des accusés n’ont pas été respectées, les avocats acceptent tout ce que dit le Parquet et n’ont pas bien assumé la défense des affaires, les peines ont été injustes, ils envoient des enfants de moins de 16 ans en prison..., ce sont quelques-uns des mensonges qui se répètent sur les réseaux sociaux, dans la vaine tentative de les rendre crédibles.
Une version très particulière des faits et qui, comme un château de sable, s’effondre d’elle-même, car si les arguments des accusés et des témoins ne suffisent pas à montrer le chemin de la vérité, les lois cubaines, et leur application, sont des garants fidèles pour la tenue de procès équitables.
En ce sens, il convient de noter que la Constitution cubaine renforce la responsabilité dans l’administration de la justice et, récemment, cela a été renforcé par la réforme de la procédure, qui est entrée en vigueur en janvier de cette année.
Parmi les garanties établies par la Constitution en matière de procès équitable, dans son article 95, figurent :
Ne pas être privé de liberté, sauf par l’autorité compétente et pour la durée légalement établie.
Bénéficier d’une assistance juridique dès le début du procès.
Présomption d’innocence jusqu'à ce que la culpabilité ait été légalement établie par un jugement définitif.
Respect de la dignité et de l’intégrité physique, mentale et morale, ne pas être victime de violence ni de coercition pour être forcé à témoigner.
Ne pas être tenu de témoigner contre soi-même, son conjoint, son concubin ou des proches.
Être informé de l’accusation portée à son encontre.
Être jugé par un tribunal légalement préétabli.
Avoir des communications avec sa famille ou des proches, immédiatement, en cas détenu ou arrêté.
Pour les victimes, bénéficier d’une protection pour l’exercice de leurs droits.
Autre exemple de la manière dont sont respectées ces garanties : lorsqu’une personne accusée, pour certaines raisons, n’a pas été en mesure d’engager un avocat de son choix, la Cour en a désigné un d’office pour la représenter, car elle a le droit d’avoir une assistance juridique tout au long de la procédure judiciaire.
Sergio Hernandez Ramos est l’un des avocats commis d’office qui a assuré cette défense. Il affirme avoir eu accès aux preuves accusatoires, pour étudier l’affaire, en plus de pouvoir rencontrer ses clients et élaborer, ensemble, une stratégie de défense.
« Nous avons fait notre travail sans aucune pression, ni obstacles, sans que personne ne nous dise ce que nous avons ou n’avons pas à dire. »
Il souligne que, depuis le début de ces procès, un avis défavorable à l’encontre des avocats de la défense a été propagé dans les médias étrangers et les réseaux sociaux. Notre travail en tant que professionnels a été remis en question, et rien de tout cela n’est vrai.
« Ils pourront dire le contraire, mais la vérité est que nous avons été en mesure de présenter toutes les preuves, les arguments en défense que nous avons souhaités, et ceux-ci ont été appréciés par les membres du Tribunal », soutient-il.
Les accusés, ajoute-t-il, ont également dit tout ce qu’ils souhaitaient dire : ils ont même pu se prononcer pour ou contre le système politique et social cubain, et personne n’a été empêché de prendre la parole.
Quant à Rainer Rosales Escobar, qui est également avocat commis d’office, il précise que la responsabilité pénale en droit cubain commence à l’âge de 16 ans, mais que, de plus, pour les accusés âgés de 16 à 18 ans, nos lois offrent un traitement différencié tout au long du procès.
Par exemple, l’article 17 du Code pénal définit que, dans ces cas, la peine peut être réduite jusqu’à un tiers de la limite maximale de la peine, tandis que l’instruction 175 de 2004 du Tribunal suprême populaire indique aux juges d’appliquer un traitement différencié et la possibilité de ne pas imposer de peines privatives de liberté, ou des peines qui ne soient pas trop élevées qui permettent ensuite la réinsertion du jeune dans la société.
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– Bonjour, vous comparaissez en tant que témoin et vous êtes obligé de dire la vérité aux questions qui vous serons posées ici, sinon vous risquez d’encourir un crime de parjure, annonce le président du Tribunal.
– Quel est votre nom?
– Ernesto Paniagua Fernandez.
– Connaissez-vous l’un des accusés ?
- Oui, Yusuan.
- Avez-vous une relation d’amitié, d’inimitié ou de parenté avec lui ?
- Eh bien, je l’ai vu naître, je suis son voisin ...
La défense commence par les questions et ainsi, successivement, les témoins que les avocats ont jugés pertinents pour démontrer la conduite sociale et morale de leurs accusés sont appelés à la barre. C’est le cas de Nubia Mendoza Montero, qui accepte de parler à la presse après avoir témoigné.
« En tant qu’enseignante et cubaine, forgée dans cette société, à laquelle je suis extrêmement reconnaissante, je pense qu’il n’y avait aucune raison d’en arriver là, à ce qui s’est passé ce jour-là. De plus, n’allons pas penser qu’à cause de ces événements, ce pays prendra une autre voie, pas du tout, la destinée de ce pays, nous l’avons définie le 1er janvier 1959. »
Nubia est également président du cdr et, en tant que témoin pour la défense, elle est venu parler de Jorge, de son comportement dans le quartier. Elle le définit comme un bon jeune homme, travailleur. « Je le connais depuis dix ans et il n’avait jamais eu de problèmes, ni été impliqué dans des histoires. Il est très apprécié dans la communauté. Qu’est-ce qui l’a amené à faire ces choses-là ? Je ne sais vraiment pas. »
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Tous ont eu l’occasion de prendre la parole, de témoigner devant le Tribunal, d’exprimer leur point de vue, tant les inculpés que les témoins. Personne n’a été contraint.
C’est le dernier jour du procès, et aussi bien le Parquet que la défense présentent leur réquisitoire et leur plaidoirie face au Tribunal, leur vision de ce qu’ils considèrent comme prouvé. Les accusés peuvent également faire usage du droit d’exprimer leur
« dernier mot », ou d’y renoncer. C’est leur décision et elle est respectée à tout moment.
Par la suite, les juges qui étaient présents au débat doivent se mettre d’accord sur la sentence et prononcer la peine. Certes, la responsabilité qu’ils portent sur leurs épaules est lourde, car il ne sera jamais facile de décider de la liberté d’une autre personne, mais ils le font en connaissance d’une pratique judiciaire dans laquelle ni les droits ni les garanties ne sont violés, et avec la conscience de juger ces personnes que la preuve a désignées directement, sans demi-mesures, comme responsables des faits qui leur sont imputés, lesquelles de plus ont reconnu leur participation aux faits.
En cas de désaccord sur la sentence, les défendeurs se réservent le droit de faire appel devant un autre tribunal d’une instance supérieure.
Il ne sera jamais facile de prendre cette décision, parce qu’il ne s’agit pas d’un numéro, mais d’un être humain, mais le Tribunal connaît aussi les dommages infligés, les autres témoins qui ont été blessés, le préjudice porté au bien-être commun et à la tranquillité citoyenne, et ils ont, en tant qu’hommes et femmes de droit, la responsabilité de juger en conséquence.
source : https://fr.granma.cu/cuba/2022-02-23/rendre-justice-cest-bien-plus-que-prononcer-une-sentence