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INTERNATIONAL publié le 20/02/2020
Du «péril jaune» à «l’incurie rouge», chronique d’un bêtisier viral
«Deux choses sont infinies: l’Univers et la bêtise humaine, estimait Albert Einstein. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue». Le déferlement d’«analyses» sur l’épidémie de coronavirus et ses impacts tend à confirmer le scepticisme du célèbre savant. Les énormes efforts déployés par les autorités chinoises pour enrayer la propagation du virus Covid-19 sont passés au fil des critiques les plus douteuses alliant les vieux démons du «péril jaune» et de l’«incurie rouge». L’OMS elle-même et son président le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus se sont vus reprocher d’être sous la pression de Pékin pour avoir salué les mesures exceptionnelles prises par la Chine.

Face à la tragédie que vit actuellement l’ensemble de la population chinoise, quelques commentaires lus et entendus ici et là nous «rassurent» sur les causes et la profondeur du drame: à savoir, les difficultés d'adaptation du «pouvoir communiste, rigide, hiérarchisé et centralisé»! «Ce qui aurait pu rester un épiphénomène circonscrit localement est devenu une épidémie mondiale en raison de la nature totalitaire du régime chinois», estime l’auteure d’une tribune dans le Monde du 11 février. L’hystérie est de mise: même les décryptages de certaines fake-news donnent foi aux rumeurs les plus scabreuses. Ainsi les élucubrations du milliardaire chinois, Guo Wengui, poursuivi pour blanchiment d’argent et réfugié aux États-Unis, ont tourné en boucle. Ce proche ami de Steve Bannon a affirmé le 7 février que «50 000» personnes étaient décédées du coronavirus. Le 12 février, des chercheurs de l’Université Johns-Hopkins à Baltimore faisaient état de 45 024 cas, dont 33 366 dans la province de Hubei.

Il est avéré que l'État chinois a montré de graves défaillances dans les prises de décisions à l’apparition du virus; il a reconnu cette erreur d’avoir minimisé les risques d’une crise sanitaire. Le maire de Wuhan Zhou Xianwang s’est livré à une rare autocritique. «Non seulement nous n’avons pas donné l’information à temps, mais nous n’avons pas non plus utilisé l’information dont nous disposions pour améliorer notre travail». Il reconnaissait ainsi l’ignorance coupable dont ont fait preuve les édiles locaux vis-à-vis des alertes lancées à la fin du mois de décembre par huit médecins de Wuhan dont Li Wenliang (décédé depuis), au sujet du coronavirus. Ces derniers ont été accusés par la police de «diffuser des rumeurs» et contraints de se taire. On conçoit aujourd’hui avec le recul et au regard de l’ampleur de la contamination les conséquences dramatiques de tels procédés.

Mais la lutte contre l'épidémie est-elle chose facile quand on parle de populations à l’échelle de la Chine? Pour le sinologue François Godement «il faut nuancer les reproches faits au gouvernement chinois. Les pénuries de matériel ne sont pas propres à ce pays. Les inconnues qui subsistent sur sa diffusion, sur sa mortalité et sur les signes de détection, tout ça n'est pas à attribuer au pouvoir chinois.» Et Xi Jinping lui-même a confirmé que «les systèmes d'alerte et de réponse à des crises épidémiques n'étaient pas au point». Que se serait-il passé si une telle épidémie avait frappé en Europe ou aux États-Unis, pays infiniment moins peuplés que la Chine. Est-il nécessaire de rappeler la déplorable réaction du gouvernement français après la catastrophe de l’usine Lubrizol en septembre dernier, pour ne citer que ce cas de l’Hexagone. Sommes-nous à même de donner des leçons?

Reprenons les faits
Début décembre 2019, plusieurs personnes se présentent à l’hôpital de Wuhan avec des symptômes particuliers. Le 31 décembre, la représentation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Chine est informée de cas de pneumonie inconnue détectés dans la capitale de la province du Hubei avant l'enregistrement du premier décès officiel, qui date du 11 janvier. Le 3 janvier 2020, 44 patients atteints de pneumonie d’étiologie inconnue sont signalés à l’OMS par les autorités nationales chinoises. Les autorités locales commencent alors à prendre des mesures en fermant à Wuhan les marchés traditionnels et en isolant les cas détectés – sans toutefois aller plus loin. Le 7 janvier, les autorités chinoises identifient un nouveau type de coronavirus. Le 12 janvier, la Chine partage sa séquence génétique avec la communauté internationale pour développer des kits de diagnostic spécifiques. Le 20 janvier, 282 cas sont confirmés, essentiellement en Chine, et quatre sont signalés dans des pays limitrophes. Le 19 janvier, le docteur Zhong Nanshan, spécialiste des maladies respiratoires et célèbre pour son engagement dans la lutte contre le SRAS en 2003, se rend à Wuhan et déclare que le nouveau coronavirus peut se transmettre d’humain à humain, provoquant une prise de conscience générale.

Avant même que l’OMS décrète une urgence de santé publique (le 30 janvier) entraînant des conséquences considérables en termes de commerce et de circulation, les autorités chinoises avaient dès le 20 janvier lancé une mobilisation nationale demandant aux cadres locaux de recenser le nombre de cas détectés dans les provinces, les comtés, les préfectures, etc…. Un groupe de coordination est créé avec à sa tête le 1er ministre, Li Keqiang, nomination symbolisant une prise de conscience du danger au plus haut niveau.

Le 23 janvier, Wuhan, épicentre du coronavirus, ville de 11 millions d’habitants, est mis en quarantaine, décision élargie rapidement à toute la province de Hubei forte d’une population de 56 millions de personnes. Cela a signifié la restriction stricte de circulation, la fermeture de tous les lieux publics, le confinement à domicile des habitants avec une autorisation de sortie tous les deux jours pour procéder au ravitaillement. Des mesures diversement appréciées dans nos contrées. Certains déplorent des atteintes manifestes aux droits humains, d’autres s’indignent de leur retard: cinq millions de personnes ayant déjà quitté les zones dangereuses pour voyager et rejoindre leurs familles à l’occasion de la fête du Nouvel an prévue cette année le 25 janvier.

Difficile de comprendre le contexte de la crise sans évoquer les circonstances. Lancer l’alarme et mettre en place un dispositif pour contenir la population à quelques jours du Nouvel an n’est pas une mince affaire. De plus, le timing politique n’est pas anecdotique. Dans la perspective des sessions annuelles à Pékin, début mars après les vacances du printemps, de l’Assemblée nationale populaire et de la Conférence consultative -deux grands moments essentiels dans la vie politique chinoise- des assemblées préparatoires ont lieu à toutes les échelles du pays, du district aux provinces mobilisant des centaines de milliers de cadres. Les deux assemblées locales de Wuhan et de la province avaient lieu respectivement du 6 au 10 et du 11 au 17 janvier. Cet agenda politique provincial n’a certainement pas aidé à la circulation de l’information.

L’autre grand obstacle à une prise de décision rapide est l’agenda des festivités. La Chine s’apprête à célébrer le «Chunjie», la Fête du printemps, la plus importante du pays qui implique des retrouvailles familiales à l’occasion des plus longs congés de l’année. Des dizaines de millions de personnes traversent le pays, pour rejoindre leurs proches ou pour voyager tout simplement. Cette grande transhumance de fête était particulièrement attendue: l’année 2019 ou plus précisément l’année du cochon qui se termine a été une année particulièrement éprouvante. Le bras de fer imposé par Trump se répercute sur l’économie chinoise et les attaques contre Huawei sont mal perçues par l’opinion publique. A cela s’ajoute la peste porcine africaine (PPA) qui décime depuis plusieurs mois une partie du cheptel chinois et fait augmenter de 50% le prix de la viande de porc la plus consommée en Chine. Le fait que la crise soit survenue à cette période complique sa gestion. Ni pétards, ni danses du dragon, à Pékin comme à Wuhan. Le Nouvel an chinois est placé sous le signe du coronavirus.

Mobilisation nationale
Ce déplacement de populations déséquilibre déjà le système de soins déjà saturé en temps normal. Conjointement aux mesures draconiennes de confinement à Wuhan, deux hôpitaux sont construits en une dizaine de jours et mis en service début février. Quatre cent cinquante médecins et autre personnel médical de l'Armée populaire de libération (APL) sont envoyés par avion. Ils seront suivis par plusieurs milliers de médecins et d’infirmiers venus de toute la Chine pour prêter main forte aux équipes médicales locales.

L’APL possède une expérience non négligeable dans le domaine, surtout depuis son intervention en 2003 durant la crise du SRAS. Mais là encore il s’est trouvé des mauvais esprits dénonçant l’appel à l’armée et accusant ces nouveaux centres hospitaliers d’être des «prisons» et des «mouroirs».

L'armée est mobilisée et ses réseaux ferrés ou aériens (différents des réseaux civils) assurent les chaînes logistiques. Une intervention d'urgence est activée dans les 31 provinces, municipalités et régions autonomes: des groupes de travail sont dépêchés pour aider et informer les autorités locales et les services sanitaires sur la détection du virus et sur les traitements et la surveillance d'urgence. Sont envoyés des centaines de milliers de kits de détection dans des milliers d'hôpitaux à travers le pays grand comme vingt fois la France.

Le défi sanitaire et logistique est considérable ainsi que l’approvisionnement alimentaire. En 2003, lors de l’épidémie de SRAS, des émeutes et manifestations avaient éclaté dans les régions de Nankin et de Shanghaï à la suite de confinements drastiques ne prévoyant aucune aide aux populations concernées. Erreur qui n’est pas renouvelée.

D’autres villes et régions sont soumises à une quarantaine: c’est le cas de Wenzhou (9 millions d’habitants) à plus de 800 kilomètres à l’est de Wuhan, Taizhou (6 millions d’habitants) et une partie de Hangzhou (10 millions d’habitants), capitale de la province du Zhejiang, et de Ningbo (8 millions d’habitants). Différentes provinces du pays imposent spontanément des mesures de contrôle : interdiction d’y entrer pour les voyageurs venus d’autres provinces – surtout du Hubei –, confinement plus ou moins strict… C’est le cas dans la province du Henan (110 millions d’habitants), au nord du Hubei.

Dans le même temps c’est la Chine elle-même qui est mise en quarantaine. Les pays voisins ferment leurs frontières, de nombreuses compagnies aériennes suspendent leurs vols vers la République populaire de Chine. Des vols charters civils affrétés par le gouvernement ont ramené chez eux des citoyens chinois bloqués à l'étranger.

Le pays fait rapidement face à une pénurie de masques et demande l’aide internationale. Des canaux verts sont ouverts par les douanes dans toute la Chine pour assurer l'entrée rapide des matériaux. Des usines sont réquisitionnées et travaillent 24 heures sur 24 pour produire des fournitures médicales telles que des masques et des tenues de protection. L’AFP rapporte que Pékin a réactivé trois usines proches de la capitale qui étaient obsolètes depuis des années. Des usines d'iPhones, de vêtements, d'automobiles voire... de couches pour bébé, modifient leurs lignes de production pour répondre à la demande. Le taïwanais Foxconn a commencé la production de masques dans son usine de Shenzhen (sud de la Chine) avec l’ambition d’en débiter 2 millions par jour d'ici la fin février. Le constructeur automobile BYD, qui produit des voitures électriques, a indiqué à l'AFP vouloir fabriquer quotidiennement 5 millions de masques et 50 000 bouteilles de désinfectants. Il en est de même pour le mastodonte pétrolier Sinopec, qui a ouvert 11 nouvelles lignes de production. Tout cela demande le rappel de milliers d’ouvriers durant les congés.

Inquiétude de la population
On conçoit la profonde inquiétude, voire la panique qui s’est emparée d’abord de la population de Wuhan et celle de l’ensemble des provinces touchées. A partir de la fin janvier l’annonce d’une contagion possible directement entre humains a augmenté la psychose. La gestion de la crise dans les hôpitaux eux-mêmes s’est révélée problématique. La colère s’est exprimée sur les réseaux sociaux contre la réactivité tardive des autorités, l’enchaînement d’erreurs et le manque de transparence. Elle a redoublé à l’annonce de la mort le 7 février, de Li Wenliang, l’un des médecins lanceurs d’alerte, et victime lui aussi de la maladie. La Cour suprême a fini par le réhabiliter fin janvier, ainsi que ses confrères, et a annoncé l’ouverture d’une enquête pour prendre de court les critiques que la censure n’a pu faire taire.

Depuis des années, les réseaux sociaux sont au centre de la vie sociale en Chine et quelle que soit l’intervention de la censure, ils sont pour les autorités un baromètre indispensable pour sonder l’état de l’opinion publique. Celle-ci sait faire la preuve de sa vitalité et elle s’est faite entendre à maintes reprises pour dénoncer les inégalités sociales, les scandales sanitaires, l’exploitation salariale, la pollution et la corruption. Ces critiques ont poussé les dirigeants à revoir leurs politiques. La blogosphère est devenue indissociable de la prise de décisions politiques. Que dit-elle aujourd’hui? Elle revendique légitimement plus de transparence, le droit à des informations fiables et à une liberté d’expression. S’agit-il pour autant comme certains veulent le croire d’une remise en cause du système politique?

Le sinologue Jean-Louis Rocca dissocie les critiques ponctuelles liées à la crise de la contestation du régime politique. Ce sont deux choses différentes souligne-t-il. Il observe un état de l’opinion qui d’une manière générale reste confiante dans l’action du gouvernement central alors que le discrédit touche les dirigeants locaux. C’est un phénomène récurrent en Chine où, lors des nombreux conflits sociaux, on en appelle au pouvoir central face aux manquements des élus locaux. La crise du coronavirus n’échappe pas à la règle: sous la pression du mécontentement, une série de limogeages et non des moindres a eu lieu frappant notamment le secrétaire du Parti communiste chinois (PCC) du Hubei remplacé par le maire de Shanghai et le secrétaire du PCC de Wuhan. Des gestes forts qui n’ont rien d’une première: en 2003 après l’épidémie de SRAS le maire de Pékin avait perdu son poste. En 2011 le ministre des Chemins de fer avait été révoqué suite aux déboires de la ligne de TGV Pékin-Shanghaï.

Ce qui est le plus remarquable peut-être pour répondre aux revendications de transparence est la modification annoncée le 13 février du mode de détection du covid-19. Les nouvelles autorités du Hubei ont annoncé le jeudi 11 février une définition élargie des personnes atteintes : les patients «diagnostiqués cliniquement», notamment avec une simple radio pulmonaire sont désormais comptabilisés, alors qu’un test de dépistage était jusque-là indispensable pour déclarer un cas «confirmé». Le bilan de l’épidémie a de ce fait grimpé sans aggravation de la situation sanitaire. La Commission nationale (ministère) de la Santé a, ce jour-là, officialisé 14 840 nouveaux cas et 242 décès supplémentaires. La grande majorité vit dans le Hubei.

Au 16 février, le nombre de décès s’élevait à 1 665. Dans son bilan quotidien, la commission sanitaire nationale a fait état de 2 009 nouveaux cas dans le pays - dont 1 843 dans cette province -, soit une baisse pour la troisième journée consécutive. Au total quelque 60 000 personnes ont été contaminées, pour la plupart en Chine continentale .Il faut aussi souligner le peu de couverture médiatique accordée aux personnes qui ont su guérir de l’infection. D'après les chiffres de l'Université Johns-Hopkins, on compte près de 5000 guérisons. Les autorités sanitaires ont noté que le taux de mortalité du nouveau coronavirus était de 2,1%. Il est de plus de 60% pour le virus Ebola dont le nombre de décès depuis la fin novembre dernier jusqu’au 21 janvier 2020 s’élève à 2238.

Les inconnues
La Chine lutte pied à pied contre l’épidémie, mais de nombreuses interrogations n’ont pas encore de réponse: à partir de quand une personne infectée est-elle susceptible de transmettre le virus? Est-ce possible avant l’apparition des symptômes? Jusqu’à quand un malade reste-t-il contaminant? Comment prolonger plus longuement le contrôle sanitaire sur des dizaines de millions de personnes?
De telles inconnues entravent la reprise des activités économiques après le «Chunjie» et les pertes dans ce secteur sont considérables à commencer par les activités quotidiennes comme la restauration, les secteurs informels etc…. La Chine est en effet confrontée à un certain nombre de tensions comme nous l’avons vu plus haut. Le gouvernement a misé depuis plusieurs années sur une contribution plus importante de la consommation et des services par rapport au modèle précédemment soutenu par les investissements et les exportations industrielles. En 2019, les services ont contribué à plus de 50% du PIB. Et si la production industrielle a crû de 5,7% en 2019 (contre 6,2% en 2018), les ventes de biens de consommation au détail ont, elles, augmenté de 8%. Le confinement actuel ne semble pas propice à une dynamique de ce côté-là.

La question se pose de savoir combien de temps va prendre la reprise du travail. La Banque centrale a annoncé qu’elle allait injecter 156 milliards d’euros de liquidités pour soutenir l’économie et elle incite les institutions financières à distribuer largement des crédits aux entreprises pour qu’elles tiennent le choc.

La tâche reste immense.

Dominique BARI,
membre de la Commission des relations internationales du PCF
ancienne correspondante de l'Humanité en Chine

source :  https://www.pcf.fr/du_peril_jaune_a_l_incurie_rouge_chronique_d_un_betisier_viral

Tag(s) : #PCF, #Coronavirus, #Chine

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