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PTB:Qui a allumé la mèche dans la poudrière ukrainienne ?

29 Août 2014

auteur:

Marc Botenga

L’Occident condamne l’attitude russe à l’égard de l’Ukraine. La Russie ressortirait les vieilles recettes de la guerre froide. Les deux parties se bombardent désormais à coups de sanctions économiques et foncent ainsi vers une voie sans issue. Pourquoi l’Europe se lance-t-elle dans ce match de boxe économique et quelles sont les motivations des Russes ?


Qu’est-ce que Poutine a à reprocher tout d’un coup à notre agriculture ?


Rien. Jusque tout récemment, la Russie accueillait environ 10 % des exportations agricoles européennes. Il s’agissait de fruits et de légumes, mais aussi de viande, de produits laitiers, de vin et d’alcool. L’embargo russe est une réaction aux sanctions européennes contre la Russie. Le 29 juillet, l’Union européenne (UE) décrétait des sanctions sévères contre la Russie qui, entre autres, touchaient le secteur financier et l’industrie pétrolière de ce pays. En sanctionnant les banques russes, l’UE espère toucher financièrement l’économie russe. Par un embargo sur les exportations de matériel destiné à l’industrie pétrolière, l’UE veut à terme faire mal à un important secteur stratégique de l’économie russe. Toutefois, les sanctions en entraînent d’autres. Si l’escalade actuelle persiste, la Russie, un important fournisseur de gaz pour l’UE, pourrait également prendre des sanctions contre l’UE sur le plan de l’énergie. L’UE importe un quart de son gaz à partir de la Russie. De telles sanctions peuvent donc faire très mal.





Pourquoi l’Union européenne a-t-elle pris de telles sanctions contre la Russie ?


Officiellement, l’UE veut sanctionner la Russie pour son ingérence dans le conflit ukrainien. Alors que l’UE soutient l’actuel gouvernement ukrainien, la Russie, elle, apporterait son soutien aux opposants.


Cette explication officielle ne manque pas d’ironie, car l’actuel conflit en Ukraine est précisément une conséquence directe de l’ingérence de l’UE en Ukraine. Le mouvement de protestation du début de cette année, qui a abouti à l’éviction du président de l’époque, Yanoukovitch, s’appuyait surtout sur un large mécontentement social dû à une politique économique déplorable et à la corruption. Mais Bruno Decordier, spécialiste de l’Université de Gand dans les questions eurasiennes, dit que le mouvement de protestation a été entre autres préparé de l’extérieur : « En 2010, en Ukraine, quelque trente programmes étrangers – lisez : occidentaux – étaient déjà actifs. »1


Outre la ministre adjointe américaine des Affaires étrangères Victoria Nuland et le républicain John McCain, Guy Verhofstadt (Open Vld) et Mark Demesmaeker (N-VA) se sont également joints aux manifestants. En d’autres termes, l’UE et les États-Unis ont décidé qui allait devoir diriger le pays ! Idesbald Goddeeris, historien et slaviste à l’université de Louvain (KUL), faisait déjà remarquer alors que la Russie ne serait par reconnaissante vis-à-vis de l’UE pour cette ingérence.2





D’où vient cette ingérence occidentale en Ukraine ?


Officiellement, il s’agissait de démocratie et de droits de l’Homme mais, en fait, l’ingérence en Ukraine s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie d’expansion de l’Otan et de l’UE vers l’Est. Depuis la chute de l’Union soviétique, l’UE et l’Otan mettent tout en œuvre pour faire main basse sur de nouvelles régions dans l’Est. Bart Criekemans, professeur de politique internationale à l’Université d’Anvers, fait remarquer : « Les années 2000 ont également été les années des “révolutions de couleur” dans la proche périphérie de la Russie : la Yougoslavie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et la Kirghizie (2005). Des chercheurs ont pu montrer clairement que, via le National Endowment for Democracy (NED – Fondation de soutien à la démocratie), la CIA et USAID (États-Unis) ont donné de l’argent à des semi-ONG telles que Freedom House et l’Open Society Institute. »3


L’intention est, d’une part, de mettre la main sur d’importantes conduites de gaz et, d’autre part, de menacer militairement la Russie à partir du sud. Après, entre autres, les États baltes, l’ancienne Yougoslavie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, l’UE et l’Otan espéraient également faire main basse complètement sur l’Ukraine.


L’Ukraine avait toutefois opté pour une position neutre. Ainsi, elle a développé des liens politiques et économiques aussi bien avec les pays européens qu’avec la Russie. Toutefois, fin 2013, quand l’UE a exigé que l’Ukraine choisisse entre un accord économique avec l’UE ou avec la Russie, les problèmes ont commencé.


Le gouvernement ukrainien d’alors, dirigé par le président Yanoukovitch, a refusé de choisir. Il voulait un accord aussi bien avec la Russie qu’avec l’UE. Un déroulement normal des choses. Imaginez que la Belgique doive choisir entre l’Allemagne ou la France. Cela ne tient pas debout, sur le plan économique. Bart Criekemans déclare : « Une Ukraine prospère devrait avoir accès aussi bien aux marchés de l’UE qu’à ceux de l’Union économique euro-asiatique. »4


Le choix de Yanoukovitch ne cadrait pas avec la stratégie d’expansion de l’Otan et de l’UE. D’où le fait que des hommes politiques américains et européens se sont rendus à Kiev pour y participer à l’installation d’un nouveau gouvernement. Reconnaissant pour le soutien de l’UE, le nouveau président Porochenko concluait en juin un accord de libre-échange avec la Géorgie, la Moldavie et l’UE. La Russie perçoit comme une provocation cette alliance économique et militaire montante à ses frontières.





Mais le nouveau gouvernement ukrainien n’est-il pas plus démocratique ?


En fait, un groupe d’oligarques a tout simplement été remplacé par un autre groupe d’oligarques. L’Ukraine est un pays très diversifié, linguistiquement – avec, entre autres, l’ukrainien et le russe –, mais aussi sur le plan économique, avec un Ouest agricole et un Est industriel. Le soutien européen à un certain groupe a perturbé l’équilibre délicat entre ces groupes de population et régions dans le cadre de l’État ukrainien. Ceux qui ont reçu le soutien américain et européen se sentent brusquement suffisamment forts pour ne plus avoir à négocier avec d’autres groupes. Leur prise de pouvoir s’est d’ailleurs faite de façon non constitutionnelle. Les milices des partis fascistes et d’extrême droite de Pravyi Sektor et de Svoboda ont recouru à la violence et à l’intimidation pour faire passer leur agenda.


Il faut noter que ce n’est pas toute la population qui a manifesté à Kiev contre Yanoukovitch. La majorité de la population de l’Est ne voulait pas renoncer à ses liens économiques avec la Russie. La Russie était d’ailleurs le principal client pour les exportations au départ du secteur minier, de la sidérurgie et de la technologie spatiale, situés à l’Est. Les gens de l’Est n’avaient rien à gagner dans un accord associatif avec l’UE.


Après la chute de Yanoukovitch, un certain nombre de mesures unilatérales ont en outre remis en jeu l’unité de l’Ukraine. La loi linguistique de février 2012 qui reconnaissait le russe et d’autres langues minoritaires comme langues administratives dans les provinces et villes où 10 % au moins de la population utilisait cette langue comme langue maternelle, a été supprimée.5 Les stations de télévision russophones ont été interdites l’une après l’autre et le Parti communiste a été expulsé du Parlement. Puis interdit. Entre-temps, on utilise des milices privées d’extrême droite pour mater toute opposition contre le nouveau gouvernement. Il y a eu des protestations, surtout dans l’est de la région du Donbass. Le nouveau gouvernement du président Porochenko n’hésite pas à engager l’armée contre sa propre population. Alors qu’il prétend qu’il veut la paix, il investit 2,2 milliards d’euros dans l’armée !6 Dans l’Est, des hôpitaux et même des stades de foot sont bombardés. Aujourd’hui, l’Ukraine n’est pas plus démocratique qu’il y a un an. Au contraire, même l’extrême droite participe aujourd’hui à son administration.





La Russie soutient aussi des groupes en Ukraine. Ne devons-nous pas condamner cela aussi ?


Bien qu’il y ait peu, voire pas du tout, de preuves formelles de l’aide militaire russe à des groupes de l’Est, la Russie et Poutine ont en effet leur propre agenda aussi. Ils veulent surtout ne pas perdre leur influence auprès des pays voisins de la Russie. La politique unilatérale et répressive du nouveau gouvernement ukrainien constitue un creuset particulièrement fertile pour la Russie désireuse de soutenir certains groupes. Une partie de ces groupes luttent – également avec les armes – pour une Ukraine orientale indépendante. Leur séparatisme n’offre toutefois aucune réponse aux problèmes sociaux et économiques auxquels tous les Ukrainiens sont confrontés.


Un certain nombre de mesures relativement simples pourraient couper en partie l’herbe sous le pied de ce séparatisme : l’arrêt des bombardements de villes par l’armée ukrainienne, la reconnaissance des droits de la population russophone, l’exclusion des forces d’extrême droite du gouvernement et des troupes de sécurité. Et l’arrêt des poursuites contre le Parti communiste, à peu près le seul parti qui œuvre à l’unité et à la réconciliation des travailleurs ukrainiens, aussi bien dans l’Est que dans l’Ouest du pays. Criekemans a déjà expliqué en mars que, tant que le gouvernement « ne pourrait ou ne voudrait proposer des garanties sécuritaires claires à la population russe », la Russie conserverait l’option d’assurer elle-même cette sécurité.7 Ce qui est d’ailleurs remarquable aussi, c’est la façon dont l’Occident lui-même se targue de motifs humanitaires en Afghanistan, en Irak ou en Libye, mais condamne la Russie qui ferait en fait la même chose.





Y aura-t-il la guerre avec la Russie ?


L’actuelle escalade est très dangereuse, tant pour l’Ukraine que pour la paix entre la Russie et l’Europe. Nos gouvernements portent ici une responsabilité écrasante. C’est l’ingérence de l’UE et de l’Otan dans les affaires internes de l’Ukraine qui a provoqué l’actuelle escalade, tant en Ukraine même qu’entre la Russie et l’UE. L’avenir de nos producteurs de poires commence lui aussi par une politique étrangère responsable. C’est pourquoi l’UE doit immédiatement cesser de jeter de l’huile sur le feu et supprimer les sanctions contre la Russie. La désescalade de la crise actuelle commence aussi par l’arrêt de l’expansion de l’Otan vers l’Est. Tant que ce ne sera pas le cas, la Russie ne mettra pas non plus un terme à son ingérence et à ses sanctions contre les produits européens.


En Ukraine, seules des négociations entre les parties concernées pourront aboutir à une solution durable pour tous les Ukrainiens. Une Ukraine unie, neutre et démocratique est la seule voie possible vers l’avant. L’actuel gouvernement ukrainien devra rendre des comptes pour la guerre qu’il mène contre une partie de sa population. Toute aide militaire au pays doit cesser, de même que l’ingérence de nos hommes politiques dans les affaires internes de l’Ukraine. La Belgique ici doit jouer un rôle de pionnière.








1. http://www.mo.be/artikel/de-euromaidan-kiev-een-geopolitiek-strijdtoneel


2. http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/buitenland/1.1886782
3. http://www.mo.be/analyse/grensland-oekra-ne-van-de-opening-van-de-doos-v...
4. http://www.tijd.be/opinie/analyse/Militaire_logica_in_Oost_Oekraine.9507...
5. http://www.mo.be/analyse/ik-ben-uit-donbass-en-daar-ben-ik-fier-op
6. http://www.demorgen.be/dm/nl/18241/Buitenland/article/detail/2006313/201...
7. http://www.mo.be/analyse/grensland-oekra-ne-van-de-opening-van-de-doos-v...

source: http://ptb.be/articles/qui-allume-la-meche-dans-la-poudriere-ukrainienne

Tag(s) : #Ukraine

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